Médecins et psychologues du centre luxembourgeois tirent la sonnette d’alarme face à la hausse des prises en charge sociales et au peu de moyens alloués.
C’est un cri d’alerte que lance le personnel du Planning familial luxembourgeois. Son dernier rapport, paru en avril, faisait état d’une augmentation très importante du nombre de prises en charge d’individus en grande précarité. «Les personnes qui viennent ici sont en grande détresse. L’assistante sociale est débordée, elle a reçu plus de 200 personnes l’année dernière», souligne une psychologue au sein du centre (qui a souhaité rester anonyme). Parmi elles, 36 % n’ont pas de couverture sociale et 7 % sont sans logement. Des chiffres impressionnants et nouveaux auxquels est confrontée l’assistance sociale, seule dans le centre.
En manque de ressources, le Planning familial annonce avoir «sacrifié un mi-temps alloué à l’éducation sexuelle dans les écoles pour venir en aide à l’assistante sociale afin de répondre aux nombreuses demandes d’aides sociales». Renforcer les équipes et allouer plus de moyens au centre sont les priorités aux yeux du personnel. «On ressent de la pression dans notre travail, raconte l’une des psychologues. Je suis déçue qu’on écoute si peu nos revendications.»
L’assistance sociale n’est pas la seule à être débordée. «On fait tout notre possible, mais on ne peut pas faire plus.» Le service de prise en charge psychologique compte des mois d’attente pour les rendez-vous. «On prend en charge les urgences, comme les violences ou les viols, mais là ça devient difficile.»
Le Planning familial se prépare à «prioriser les vulnérabilités», même si cela ne correspond pas à son devoir premier de travail social. «Nous travaillons en équipe et ça ne va pas changer. Nous devons prendre en charge les patients dans toutes leurs dimensions, souligne la psychologue. Notre travail, c’est d’être attentifs et d’aider toutes les personnes qui se présentent.»
Les prises en charge en tout genre s’accélèrent pour le Planning familial et ses trois centres au Grand-Duché. En 2023, c’est une augmentation de 46 % qui a été observée pour les demandes d’interruptions volontaires de grossesse par rapport à l’année précédente. Et toutes les tranches d’âge sont concernées, pas seulement les plus jeunes : la moyenne d’âge était de 28,9 ans en 2023. Comment expliquer cette hausse des IVG? Difficile à dire d’après le centre, d’autant plus sans une étude scientifique et détaillée. «C’est un vrai problème qui nous échappe et les causes sont multiples.»
«Ne pas juger, c’est aussi notre rôle»
Selon l’une des médecins, la dédiabolisation de la pratique est sans doute l’une des premières raisons. Viennent ensuite la précarité et la peur pour l’avenir. Il existe également un rejet vis-à-vis de la contraception hormonale sous toutes ses formes. Le phénomène est très récent et s’appuie sur des enjeux de genre d’abord, avec une volonté d’égalité entre les sexes. Mais aussi des enjeux écologiques et des questions d’accessibilité à la contraception.
«Dans le monde numérique, tout est disponible tout de suite. Pour avoir une pilule, en revanche, il faut se rendre chez un gynécologue et lui demander une ordonnance. Pour la plupart des personnes, les démarches sont trop longues», souligne la médecin. D’après elle, la gratuité de la contraception au Luxembourg, mise en place depuis avril 2023, n’a pas été une réussite.
«Il y a quelques années, les 15-49 ans étaient plus de 50 % à prendre la pilule. Aujourd’hui, c’est moins de 30 %. Même après une IVG médicamenteuse, les femmes ne prennent pas de moyen de contraception. Mais nous ne sommes pas là pour donner notre avis. Ne pas juger, c’est aussi notre rôle.»
La non-disponibilité immédiate de la pilule serait une cause de ce désamour. Une hypothèse en partie confirmée par une augmentation de la prise de la pilule du lendemain, disponible quant à elle en pharmacie et sans ordonnance. «C’est assez contradictoire parce que la pilule du lendemain contient 50 fois la dose d’une pilule classique, mais ça n’empêche pas qu’elle soit disponible partout aussi facilement», s’inquiète la médecin.
Seule solution d’avenir, selon elle : l’éducation. «Aux Pays-Bas, des cours réalisés par des spécialistes ont été mis en place dès la maternelle. Résultat, le pays compte l’un des taux d’IVG les plus faibles d’Europe.» Mais là encore, les moyens manquent au Planning familial pour se rendre dans toutes les écoles luxembourgeoises.