La journaliste marocaine Hajar Raissouni, 28 ans, a été condamnée lundi à un an de prison ferme pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » par le tribunal de Rabat, une affaire qui a suscité l’indignation dans le royaume et à l’étranger.
Arrêtés et jugés en première instance en même temps qu’elle, son gynécologue a écopé de deux ans de prison ferme et son fiancé d’un an ferme. Un anesthésiste a été condamné à un an de prison avec sursis et une secrétaire à huit mois avec sursis. Les proches de la journaliste ont confié qu’elle allait faire appel, tout comme l’avocate de son gynécologue Meriem Moulay Rachid.
« Ce procès n’avait pas lieu d’être, les accusations étaient infondées : il n’y a ni débauche (relations sexuelles hors mariage, NDLR) ni avortement », a regretté l’avocat de la journaliste, Me Abdelmoula El Marouri, à l’issue du verdict. Interpellée fin août à l’entrée d’un cabinet médical de Rabat, la reporter avait été « contrainte à faire un examen médical sans son accord », selon elle. Ses avocats avaient assimilé cet examen à de « la torture », pointant des « manquements de la police judiciaire » et des « preuves fabriquées », et plaidé pour sa libération. Mme Raissouni, qui dénonce un procès « politique », est arrivée à la salle d’audience l’air serein, vêtue d’une djellaba noire, un voile couvrant sa tête.
Cris de colère au moment du jugement
Elle a fait un signe de la main à ses proches avant de prendre place sur le banc des accusés. Le jugement a été accueilli par des cris de colère et de déception par les familles des accusés. Journaliste au quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum, elle risquait jusqu’à deux ans de prison en vertu du code pénal marocain, qui sanctionne les relations sexuelles hors mariage et l’avortement quand la vie de la mère n’est pas en danger. Lors d’une précédente audience, Mme Raissouni avait nié tout avortement, assurant avoir été traitée pour une hémorragie interne, ce que son gynécologue a confirmé devant le tribunal.
« C’est une affaire de répression politique, de répression d’une opinion indépendante, et une vengeance (contre) sa famille », a dit l’historien engagé Maati Monjib, présent à l’audience lundi. « On est bien conscient que c’est une affaire politique. Mais en tant que mouvement féministe, ce sont les motifs qui nous inquiètent. Ce sont souvent les femmes qui sont victimes de lois liberticides », a affirmé peu avant le verdict Ibtissam Lachgar, co-fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). Des dizaines de journalistes et représentants d’ONG étaient présents dans la salle d’audience, bondée dans la journée. La journaliste avait été interrogée par la police sur ses proches, son journal et ses écrits, selon son récit.
Une affaire politique en toile de fond ?
Un de ses oncles est un éditorialiste engagé du quotidien Akhbar Al-Yaoum, un autre est un idéologue islamiste opposé au statut de « commandeur des croyants » du roi Mohammed VI. Le parquet de Rabat, lui, avait assuré que son arrestation n’avait « rien à voir avec sa profession de journaliste » mais était intervenue dans le cadre d’une enquête judiciaire plus globale visant le cabinet médical. L’affaire fait grand bruit, au Maroc comme à l’étranger, soulevant des débats sur les libertés individuelles dans le royaume et sur les poursuites judiciaires visant les voix critiques. Pour Reporters sans frontières (RSF), elle est « victime de l’acharnement judiciaire contre les journalistes ».
« Accusations forgées de toute pièce »
L’ONG Amnesty International a dénoncé des « accusations forgées de toute pièce » et Human Rights Watch (HRW) une « violation flagrante de son droit à la vie privée et à la liberté ». Au Maroc, les arrestations dans les affaires d’avortement concernent en général les praticiens et très rarement les patientes, selon HRW, qui cite Chafik Chraibi, le président de l’Association marocaine contre les avortements clandestins (Amlac). Dans un manifeste publié le 23 septembre dans plusieurs médias marocains au nom des libertés individuelles, des centaines de femmes se sont déclarées « hors-la-loi » en proclamant avoir déjà violé la législation « obsolète » de leur pays sur les moeurs et l’avortement. Quelques centaines de personnes s’étaient rassemblées devant le tribunal avant l’ouverture d’une audience début septembre pour apporter leur soutien à la journaliste au nom du respect des libertés individuelles. En 2018, la justice marocaine a poursuivi 14.503 personnes pour débauche, 3.048 pour adultère, 170 pour homosexualité et 73 pour avortements, selon les chiffres officiels. Entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc, selon des estimations.
AFP