Attendus le 8 juin sur la scène des Francofolies Esch, rencontre avec les électrons libres d’Ascendant Vierge, sorciers d’un mélange puissant de techno hardcore et de chant lyrique.
Avec Mathilde Fernandez et Paul Seul, alias Ascendant Vierge, deux pôles lointains, et même a priori opposés, se rencontrent : le gabber et le chant lyrique. Pour le dire autrement, il faut imaginer une Mylène Farmer très exaltée sur de la techno hardcore. Ressort de cet alliage improbable des chansons somptueuses qui à la fois perforent et envoûtent. Un duo qui jouera aux Francofolies d’Esch-sur-Alzette le 8 juin. Rencontre.
La fusion pop et opéra, c’est une longue histoire, avec des artistes comme l’Allemand Klaus Nomi, l’Italienne Giuni Russo, les Anglais de Queen, ou plus généralement, le metal symphonique. Ascendant Vierge se situe un peu dans cette filiation, non?
Mathilde Fernandez : Les références que tu énonces me sont plus que familières. Moi, je n’ai pas une formation classique en conservatoire, j’ai appris le chant, mais un peu sur le tard, auprès d’une chanteuse lyrique à Bruxelles. Aussi, je suis une grande fan de Klaus Nomi : c’est pour ça qu’on a repris After the Fall. J’adore Nina Hagen également. Elle, vu que sa mère était une artiste lyrique, elle chantait déjà à l’opéra quand elle était enfant. Mais je ne me revendique pas du tout chanteuse d’opéra; je ne sais pas si je tiendrais la route sur quatre heures de Tristan et Iseut.
La part lyrique d’Ascendant Vierge se situe aussi ailleurs…
M. F. : Oui, elle se loge aussi dans l’ambiance, les paroles, nos sujets de prédilection étant les grandes fatalités, le temps, la vie, la mort. Il s’agit ensuite de déconstruire ces thèmes avec le son et la voix. Dans Ascendant Vierge, il y a des chansons très lyriques, comme Une nouvelle chance, et d’autres qui ne le sont pas. C’est le jeu : nous nous éloignons du lyrisme autant que nous nous en rapprochons.
Est-ce qu’il n’y aurait pas, de votre part, une démarche presque didactique d’ouvrir les fans de techno hardcore à l’art lyrique et inversement?
Paul Seul : Nous n’avons pas envisagé les choses de cette façon. Disons que moi, à la base, je suis même plutôt réfractaire à la musique quand elle devient exagérément opératique. En tout cas, lorsque j’étais adolescent, ça ne correspondait pas du tout à mes goûts; maintenant que je suis dans Ascendant Vierge, j’évolue. Mais les moments les plus puissants ne sont pas ceux qui a priori me font vibrer – j’aime le contraste.
Il se dit d’une personne du signe vierge qu’elle « sait transmettre son optimisme ». D’un côté, cette affirmation sied à la partie festive, voire défouloir, bourrine, d’Ascendant Vierge. Mais de l’autre, vous avez une vision du futur souvent apocalyptique.
P. S. : Il y a une double facette…
M. F. : Certains textes sont très sombres. Écrire revient néanmoins à trouver des chemins vers l’optimisme. Le contexte global de la société, nous le trouvons à peu près tous catastrophique. Alors comment s’en inspirer? Il faut en extirper ce qu’il y a de beau malgré tout – et de terrible. Et beaucoup de personnes nous disent que notre musique leur donne du courage.
Aimer sur le long terme parle de l’amour à l’ère Tinder et l’un de vos premiers morceaux s’intitule Influenceur : le monde virtuel fait directement partie de vos influences?
M. F. : Ce sont des éléments très inspirants.
P. S. : Tout cela fait partie de nos vies, mais en plus, pour ma part, j’ai bossé dans les nouvelles technologies, les applications, les sites. Et je garde une certaine fascination pour ce monde-là. C’est générationnel. Nous avons vu l’accélération des moyens de communication, tout en se souvenant de combien les machines étaient nulles quand nous étions enfants.
Sur vos réseaux sociaux, Mathilde surtout, vous cultivez une imagerie « horrifique » très marquée, avec lumières rouges, atmosphères troubles…
M. F. : J’ai une utilisation d’Instagram façon Tumblr à l’époque; ce sont des images qui me séduisent et me nourrissent.
Si vous faites partie de la génération Z, est-ce qu’avec Ascendant Vierge, vous vous sentez appartenir à une scène?
P. S. : Le principe de scène, c’est plus un tableau musical, mais j’ai l’impression que nous avons un peu notre bulle, volontairement. Nous avons des collaborateurs très proches, comme Lucien Krampf, que je connais depuis Casual Gabberz (NDLR : le groupe parallèle de Paul), qui nous aide dans la production additionnelle ou dans des intentions de mix. Mais nous ne sommes pas très poreux au reste de la « scène ».
J’ai grandi avec Mylène Farmer, qui chantait des textes que je ne comprenais pas
Mathilde, vous aimez les doubles sens, et même les sens cachés, au point que Paul ne comprend pas toujours toutes vos paroles.
M. F. : J’ai grandi avec Mylène Farmer, qui chantait des textes que je ne comprenais pas, ce qui a développé un certain imaginaire torturé. Je laissais infuser. Quand j’étais ado – et goth – j’imprimais les paroles en anglais de Marilyn Manson, et j’essayais de les traduire moi-même. Il y avait des significations souvent assez scabreuses, mais je trouvais ça super. Mon processus créatif a à voir avec le fait d’être passée par ces étapes mystérieuses.
Et, du côté de la littérature, quelles sont vos obsessions?
M. F. : Je suis une grande collectionneuse de livres sur la littérature ésotérique. Les faits divers exceptionnels, les apparitions de fantômes, tout cela est visuellement très agréable. Et puis, beaucoup de titres de ces livres sont très inspirants. Il y en a un qui s’intitule La Vie d’avance; ça nous a tellement plu que nous en avons fait une chanson du même nom. Pendant une période, j’étais fascinée par les Centuries de Nostradamus. J’adore ces petites phrases en vieux « françois », ce sont des espèces de visions, en fait il s’agit surtout d’associations de mots et d’images. Parmi les contemporains, j’aime beaucoup Pacôme Thiellement, un grand spécialiste de l’exégèse.
Y a-t-il une dimension sexuelle cachée entre les lignes de vos morceaux?
M. F. : Ce qui est assez drôle, c’est que nous sommes pudiques, voire même très prudes. Le mot « vierge » dans le nom du groupe, peut se lire au sens premier. Le sexe, c’était notre blague. À un moment, quand je disais à Paul, que j’avais écrit un nouveau texte, il me demandait pour rire si ça parlait de sexe – dans la mesure où je n’en parle jamais. Et je crois que, pour la première fois, dans le prochain disque, l’amour physique est évoqué, mais en clin d’œil glissé. Quand nous avons sorti Faire et refaire, les gens se tordaient le cerveau : « Mais de quoi s’agit-il? » Notre manager, très goguenard, affirmait qu’il savait de quoi ça parlait. Sauf que non. Le morceau évoque certaines formes d’addictions, pas forcément aux drogues, non; il est question de procrastination et de dépendance aux écrans. Mais avec des paroles proches d’un puzzle, l’interprétation reste évidemment libre.
Cinq ans après Faire et refaire, s’il fallait revenir en arrière, qu’est-ce que vous ne feriez pas et qu’est-ce que vous referiez?
P. S. : Je ne changerais rien. Je suis content de notre parcours, de là où nous en sommes autant que de ce qui nous attend. Et je reste serein face à nos erreurs.
M. F. : Nous sommes de très bons élèves. Il nous arrive de faire certaines choses, en nous disant que c’est le jeu. Et en les faisant, nous nous rendons compte que ça ne nous apporte rien. Je pense qu’aujourd’hui, nous savons ce que nous voulons et ce que nous aimons.