À l’heure du réchauffement climatique, la profession d’architecte traverse une profonde mutation. Entre contraintes réglementaires, exigences écologiques et recherche de solutions durables, le secteur tente de se réinventer.
L’architecture n’échappe plus aux enjeux environnementaux. Au contraire, elle se trouve au cœur de la bataille climatique. Les bâtiments représentent une part considérable des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique mondiale.
Le Luxembourg n’y échappe pas non plus : le secteur de la construction figure dans le top 3 des secteurs les plus polluants, selon une étude du ministère de l’Environnement publiée début août.
Dans ce contexte, les architectes doivent, eux aussi, repenser entièrement leur approche du métier. «Depuis une quinzaine d’années, on a commencé à se tourner vers les matériaux écologiques», explique Oliver Offermann, architecte luxembourgeois actif depuis 2005.
«On essaye vraiment au maximum d’utiliser plutôt des matériaux biosourcés et recyclables. Ce n’est pas seulement dans la structure des bâtiments, mais également dans les matériaux de finition, les matériaux isolants, etc.»
Un choix écologique aux limites économiques
Le recours aux matériaux écologiques constitue l’un des piliers de cette architecture repensée. «Le plus écologique : des matériaux qui consomment le moins d’énergie possible, dans leur production et dans leur importation», précise Oliver Offermann, depuis son bureau d’Esch-sur-Alzette. «Le bois, la cellulose soufflée, la laine de mouton ou encore le verre cellulaire» sont autant d’alternatives aux matériaux traditionnels issus du pétrole.
Mais tout a ses limites. Pour certains éléments constructifs, notamment tout ce qui se trouve enterré, les options restent restreintes. «Il n’y a pas trop de possibilités, vu que ça doit être résistant aussi bien à la compression qu’à l’humidité», souligne l’architecte de l’Atelier 70.
Le verre cellulaire, produit recyclable, représente par exemple une alternative intéressante aux mousses expansives issues du pétrole. Mais son coût reste élevé.
Car c’est bien là le principal frein : «Plus c’est écologique, plus le prix reste élevé. Cela changera sûrement lorsque la demande sera supérieure à celle d’autres produits plus traditionnels.»
Dans le secteur résidentiel privé, où les prix de construction sont déjà jugés trop élevés au Luxembourg, convaincre les clients d’investir davantage dans des matériaux qu’ils ne verront même pas représente donc un défi quotidien.
«C’est difficile de convaincre quelqu’un de réaliser une façade isolante avec des matériaux écologiques pour avoir le même aspect que si c’est fait avec du polystyrène», reconnaît Oliver Offermann.
Entre ambition climatique et contraintes réglementaires
Le Grand-Duché a pris des décisions précoces en matière de construction durable. Et ces diverses réglementations complexifient considérablement le travail des architectes.
«Une construction, il y a 20 ans, était moins compliquée à réaliser qu’aujourd’hui», constate l’architecte. «On assemble de plus en plus de couches différentes et il faut vraiment être très vigilant et rigoureux dans le suivi et l’exécution des travaux. Je passe énormément de temps à faire de la paperasse.»
Pour illustrer ces principes, il évoque un projet de maison écologique construite en 2019 à Syren, dont la structure primaire est entièrement en bois. La façade combine bois et enduit minéral, avec une isolation en cellulose soufflée.
Les fenêtres sont en bois-aluminium, compromis entre l’option la plus écologique (bois pur nécessitant un entretien régulier) et la durabilité. Le coût total? 900 000 euros TTC, hors honoraires et terrain.
«On aurait pu faire des économies», reconnaît Oliver Offermann. «Au niveau structurel, en évitant au maximum le béton à couler sur place et en travaillant avec des briques grand format. Au niveau façade, le moins cher reste le polystyrène. Et sur les menuiseries extérieures, si vous passez sur du PVC pour les fenêtres et que vous réduisez leur taille et leur nombre, ça fait vraiment une très grande différence de prix.»
L’avenir de la construction durable passe donc d’abord par le portefeuille, mais également par l’économie circulaire. Les bâtiments doivent en effet être pensés non plus pour un usage unique, mais avec en tête leur éventuelle transformation ou déconstruction.
«Un autre point important, c’est l’aspect du recyclage», souligne l’architecte : «Avant de démolir, demandons-nous ce qui peut être valorisé, transformé, réutilisé.»
Cela implique d’éviter les matériaux «liés ou collés» et de privilégier les «constructions assemblées mécaniquement, qui peuvent être désassemblées et dont les différentes couches peuvent être triées».
Une architecture «qui ne se construit pas»
Pour les architectes de demain, la compétence clé ne sera donc pas seulement technique. «Je pense que globalement, architecte ou non, il faut comprendre que c’est important de ne pas gaspiller trop de ressources», insiste Oliver Offermann. «C’est un point essentiel pour les architectes qu’ils apprennent, qu’ils soient formés à utiliser, le plus rationnellement possible, les ressources et matériaux.»
Cette sensibilisation doit également toucher toute la chaîne de production, selon lui, en privilégiant les énergies renouvelables notamment. «Si on produit du ciment, du plâtre, de l’acier, qu’on essaie de le faire d’une façon la plus écologique possible.»
Alors, est-ce vraiment possible de concilier architecture et écologie? «Quand on parle d’architecture durable, c’est presque une architecture qui ne se construit pas. Et si on construit, il faut le faire de la manière la plus écoresponsable possible», résume Sébastien Jungen, le directeur général de Bamolux, cité sur Infogreen.
Une formule qui traduit bien l’esprit qui doit guider la profession : construire uniquement les volumes réellement nécessaires, privilégier la rénovation à la construction neuve et, lorsqu’il faut construire, le faire avec les matériaux les plus durables et les moins énergivores possibles.
«C’est bien qu’un bâtiment soit beau, conclut Oliver Offermann, mais il faut penser à l’environnement, parce que si on continue comme les 200 dernières années, la planète ne va pas supporter ça très longtemps.»
S'inspirer du passé

Face aux vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, certains architectes se tournent vers les savoir-faire ancestraux. Pergolas fleuries en Provence, patios ombragés espagnols, tours à vent… Ces techniques traditionnelles reviennent sur le devant de la scène pour concevoir des logements mieux adaptés aux fortes chaleurs.
L’architecte luxembourgeois confirme cette tendance, tout en nuançant : «Ici, dans nos régions, l’impact est un peu moins important : il ne fait pas trop froid ni trop chaud.» Néanmoins, il identifie des pistes intéressantes, notamment au niveau de la gestion de l’eau : «Il y a des projets maintenant où les eaux de pluie sont déviées superficiellement, grâce à des rigoles ouvertes qui les amènent dans des surfaces de rétention.»