À l’occasion de sa réception de nouvel an, ArcelorMittal Luxembourg a confirmé l’ampleur de la crise sidérurgique en Europe, bien que le Grand-Duché soit, pour l’instant, plutôt épargné.
Morose et troublant. Voilà dans quel contexte s’est déroulée mercredi la réception de nouvel an d’ArcelorMittal Luxembourg dans son centre logistique européen à Differdange. Bien qu’au Grand-Duché le groupe sidérurgique ait connu une année 2024 marquée par de bonnes nouvelles, la déclaration inquiétante d’Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, est évidemment en toile de fond. Interrogé par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale il y a pile une semaine, le dirigeant français assurait que : «Tous les sites en Europe, quels qu’ils soient, sont à risque».
Même si personne ne découvre l’existence d’une crise de l’acier en Europe, des propos si pessimistes en ont surpris plus d’un. Le deuxième groupe sidérurgique mondial serait-il menacé à ce point ? Au pays du siège social, le cri d’alarme est à peine moins fort. En réaction aux propos de son collègue français, Henry Reding, «country head» Luxembourg, assure que «cela fait plus d’un an que nous sommes également en train d’alerter les politiciens luxembourgeois et surtout les parlementaires européens qui défendent nos intérêts».
L’acier européen à un tournant
La situation est telle que le premier responsable national d’ArcelorMittal a énoncé longuement les différents maux qui pèsent sur l’industrie européenne. L’expression la plus flagrante de la crise se trouve dans la surproduction. Tandis que la production annuelle mondiale est de 2 milliards de tonnes, la capacité de production des usines s’élève à 2,6 milliards de tonnes, soit 24 % de production potentielle non exploitée. «Soixante-seize pour cent, on peut dire que c’est à peu près juste ce qu’il faut pour produire de façon compétitive» lance-t-il, «mais en Asie, les usines sont bien plus chargées qu’en Europe». Sur le Vieux continent, Henry Reding parle d’une charge moyenne de 60 %, «ce qui est insuffisant», et certaines usines sont même sous ce seuil. Dans ce cas, «elles s’arrêtent intempestivement quand elles ont un manque de commandes et certaines ne redémarrent plus.»
Si l’Europe tourne au ralenti, c’est au profit de l’Asie qui, elle, a un carnet de commandes rempli. En 2022, la production mondiale était à 70 % asiatique et à 7 % européenne. L’Europe est même devenue un marché d’import avec 25 millions de tonnes importées contre 16 millions de tonnes exportées.
Ce changement de tendance a également ses raisons selon le dirigeant luxembourgeois : l’augmentation du coût de l’énergie, la taxe sur le CO2 imposée aux producteurs, des normes environnementales et des quotas d’importation en faveur de l’Asie. Afin d’y remédier, ArcelorMittal appelle instamment l’Union européenne et les politiciens du Luxembourg et d’ailleurs à agir, car «nous savons que tout cela ne marchera pas sans la politique».
Le Grand-Duché fier de son savoir-faire
Malgré ce marasme ambiant, le Grand-Duché a encore la tête hors de l’eau. Après avoir alerté sur les difficultés de l’environnement de production en Europe, Henry Reding a dépeint un tableau plus positif sur le sol national. Grâce à «quelques produits niches pour lequel nous sommes le leader mondial», le Luxembourg ne connaît pas le même sort que ses homologues européens. «Je parle des poutres lourdes du train Grey de Differdange, des palplanches du train 2 de Belval et des rails ponts roulants de Rodange que l’on peut trouver dans tous les gros projets de par le monde.»
Ainsi, «les usines de Belval et Differdange tournent plutôt bien». Ces dernières fonctionnent «avec trois postes par jour durant six jours par semaine, ce qui est d’un bon niveau qui approche les 80 %» se réjouit le responsable. En revanche, Rodange est, elle, plus proche de la moyenne européenne : «Cela fait des années qu’elle a été réduite à dix postes par semaine, ce qui correspond à 50 % seulement».
Pour cette dernière, un motif de satisfaction se trouve tout de même dans la production de rails de tramway. «Nous avons utilisé toute la capacité de l’usine pour construire des rails cette année et je dirais qu’aujourd’hui, il n’y a presque plus un tramway en Europe pour lequel on ne livre pas des rails de Rodange.»
«Nous ne sommes plus les seuls»
Quel que soit le domaine, le Grand-Duché n’est pas une île, et pour l’acier rien n’est sauvé pour autant. Comme les autres pays européens, le Luxembourg alerte sur les difficultés à venir pour l’export des produits européens à cause d’une compétitivité en berne. L’avenir est également menacé par l’arrivée de futurs concurrents.
«Nous ne sommes plus les seuls» résume Henry Reding qui voit venir «les usines moins coûteuses, en Chine notamment, qui savent produire les palplanches du train 2 et théoriquement, les poutres lourdes du train Grey». «Heureusement, nous avons encore une certaine longueur d’avance au niveau du savoir-faire mais, petit à petit, ça s’érode» prévient-il.
Sur le plan national, ArcelorMittal continue de réduire son empreinte écologique, maintient sa production et fait avancer ses projets.
Le groupe a des motifs de satisfaction au Luxembourg, à commencer par la production. En 2024, 1,9 million de tonnes d’acier brut ont été produites. Ce chiffre identique à l’an passé illustre une certaine stabilité, notamment en ces temps de crise. «Cela ne varie pas tellement, nous sommes toujours dans les mêmes ordres de grandeur», assure Pascal Moisy, responsable de la communication.
En matière d’emploi, ArcelorMittal Luxembourg fait état d’une légère augmentation, en passant de 3 368 salariés en 2023 à 3 450 en 2024. Soit une hausse de 82 personnes qui vient contredire la contraction de l’effectif à 3 000 employés envisagée pour l’horizon 2025.
Record, four électrique, photovoltaïque…
L’année 2024 a été celle d’un record : la réalisation de la plus lourde poutrelle au monde à Differdange. Dans la même veine, l’acier luxembourgeois a brillé sur le plan international, puisque c’est à Rodange que les rails du pont roulant de l’aire de lancement de la fusée Ariane 6, en Guyane française, ont été produits. Cet acier était aussi présent dans le toit rétractable du stade de Roland-Garros, à Paris, grâce aux rails de Rodange et aux poutrelles de Differdange.
ArcelorMittal Luxembourg s’est encore illustré en récupérant les anneaux olympiques accrochés à la tour Eiffel. À l’été, ils ont été découpés et, depuis, ils sont stockés en attendant d’être fondus pour constituer les poutrelles du futur siège mondial d’ArcelorMittal au Kirchberg, dont Pascal Moisy a donné des nouvelles : «Le projet avance. Et on ne s’en rend pas compte, mais il y a déjà six niveaux qui ont été construits.»
Les projets déjà annoncés et en cours de réalisation ont fait l’objet d’un bilan. L’aspirateur central récupéré dans l’ancienne aciérie de Florange a été remonté à Differdange et devrait être opérationnel en cette fin d’année afin de capter 80 % des émissions diffuses de poussières d’ici 2026. Le projet «Steelup!», visant à relocaliser à l’aciérie de Belval la production étrangère nécessaire à la fabrication des rails de Rodange, est lui aussi en bonne voie : le four à arc électrique est encore en installation et devrait être en place d’ici octobre prochain, puis opérationnel en fin d’année. À Differdange, le déplacement des fosses à scories noires a été effectué. Elles sont désormais situées sous un hall au cœur de l’usine, loin des habitations voisines.
Au Centre logistique européen, à Differdange, un important projet est en cours afin d’installer 8 606 panneaux photovoltaïques sur les 17 halls de stockage du site, ce qui permettra de produire plus de 4 600 MWh/an. Une partie de l’électricité produite sera autoconsommée et l’excédent revendu en interne.