Jusqu’à lundi, Antiques & Art Fair Luxembourg met en vente des pièces rares à des prix raisonnables. Un salon qui fait sens pour enrichir une collection, constituer un patrimoine ou simplement se faire plaisir!
D’emblée, une précision d’importance : pour beaucoup encore, un salon d’antiquités, c’est un endroit d’un autre temps, aux effluves poussiéreux et aux objets d’une époque révolue, où l’on trouve côte à côte du mobilier datant de Napoléon et de la vaisselle aux armoiries de lointaines familles bourgeoises… Ce n’est pas tout à fait faux, mais c’est assez réducteur ! En témoigne l’Antiques & Art Fair Luxembourg, salon qui prouve toujours un peu plus chaque année que cette image d’Épinal est largement dépassée et que l’on a visité dimanche. Son commissaire, en poste depuis dix-huit ans, Jean-Pierre Defossé, le reconnaît toutefois : «Oui, au début, il y avait un côté brocante!».
Aujourd’hui, tout tient finalement à une légère subtilité : rajouter le mot «art» à l’appellation. Adrien Denoyelle, à la tête de Lux-Auction, maison de vente et d’expertise située à Stadtbredimus, compte dessus : «Ce n’est pas grand-chose, mais ça joue!». Preuve est faite sur son stand, où il accueille durant quatre jours les visiteurs devant un bureau laqué noir remontant à Louis XIV, juste à côté d’une veste en cuir illustrée par Keith Haring. Un sacré saut dans le temps et dans les styles qui se justifie par plusieurs raisons, comme l’énumère Jean-Pierre Defossé : d’abord celle, nécessaire, d’être diversifié tout en exigeant la qualité. Puis cette volonté de rester «abordable» et de ne pas succomber à «l’élitisme».
Des boîtes à musique jusqu’à la Castafiore!
Sans oublier celle, ô combien vitale pour les vendeurs, de diversifier leur public. En somme, associer l’ancienne génération à la nouvelle, bien plus inventive et audacieuse. «Elle n’hésite pas à associer les époques, clame le commissaire qui confie, dans ce sens, adorer les intérieurs éclectiques». Une assemblée «mélangée» qui, enfin, peut se promener dans les travées sans peur de l’arnaque, grâce à trois experts qui contrôlent régulièrement la marchandise (visible ou en stock) et peuvent même intervenir sur demande. Ce qui fait de l’Antiques & Art Fair un rendez-vous à «dimension humaine» où le public «peut voir, toucher, discuter» afin de se faire une meilleure idée sur son éventuel achat.
C’est ce que l’on y observe : dans une lente déambulation, on trouve ainsi, bras dessus bras dessous, Josiane et une amie qui flashent pour l’argenterie, un jeune couple amateur de meubles et de tableaux à exposer dans sa maison, des fouineurs bloquant sur les «curiosités» africaines de chez Curiositas, et des amoureux de dessins en pleine discussion devant une puissante Castafiore d’Hergé, œuvre originale qui, à l’époque, décorait la salle d’attente d’un ancien dispensaire à Liège. Et on est loin de faire le tour de toutes les propositions des 90 exposants – antiquaires, galeristes et artisans d’art – qui visent forcément large : bijoux (en nombre), cartes, livres, tableaux, lampes, sculptures, statuettes, stylos, tapis persans, ornements orientaux, et même des boîtes à musique et des cannes aux pommeaux d’acier sculptés.
On essaye d’avoir tout ce qui existe sur le marché de l’antiquité!
De l’or, du vin et Gaston Lagaffe
Jean-Pierre Defossé résume : «On essaye d’avoir tout ce qui existe sur le marché de l’antiquité!». La Germaine galerie, venue pour la première fois à Luxembourg depuis La Baule, en est en tout cas un symbole de modernité, avec ce canapé d’un violet tape-à-l’œil et cette peinture de Combas. Une combinaison de toutes les couleurs que Quentin Boccara, gérant-antiquaire, justifie par les «coups de cœur» réguliers qu’il a pour des artistes contemporains, de surcroît «quand c’est de qualité et que c’est beau!». Un terme qui revient dans la bouche du commissaire de l’Antiques & Art Fair pour dire comment fonctionne lui aussi le public, ou du moins une partie : «Dans les années 1980-90, il cherchait quelque chose d’un même style, d’une même époque. Aujourd’hui, il est plus libre. Il n’est pas question, derrière les choix, de placement ou de valeur intrinsèque. Il faut juste que ce soit joli».
Il y aurait donc ceux qui aiment simplement s’entourer d’objets de qualité, et les autres, que l’on peut diviser en deux catégories : les collectionneurs et les investisseurs. C’est vers eux, sûrement, que se destinent les «highlights» de cette édition 2023, la 48e du nom, notamment ce dessin de Gaston Lagaffe signé de Franquin ou encore ce bracelet d’or, de platine et de diamants qui illumine toute la galerie Boyrié. Côté joyaux, Adrien Denoyelle, seul commissaire-priseur officiant au Grand-Duché, est aussi un connaisseur, lui qui a vendu une caisse de vin pour 123 000 euros (douze bouteilles de Romanée-Conti, tout de même!) et une montre Patek Philippe pour plus du double, son record.
L’histoire du vase minuscule
Un «métier passion» hérité de sa famille qui, par la force des choses, a lui aussi traversé le temps, comme il le raconte : «Avant, avec mon père, on ne faisait que des salons. Un tous les mois environ! Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Ça ne marche plus», en dehors, comme il le précise vivement, de cette foire «Made in Luxembourg» qui semble avoir les reins solides. C’est même «l’une des seules qui perdurent et qui gagnent en qualité», énonce-t-il, fort de ses douze années d’exposant. Jean-Pierre Defossé, sans avoir les chiffres sous les yeux, poursuit sur le même enthousiasme, persuadé d’avoir vu cette année plus de monde à Luxexpo qu’en 2020, date de la dernière édition «classique» avant, crise sanitaire oblige, une version combinée à Home Expo en 2021 et une autre en mode estival en 2022.
La raison de cette désaffection qui semble ne toucher que les autres ? La «concurrence» des maisons de vente qui deviennent «les leaders sur le marché de l’art», explique Adrien Denoyelle. Pour se diversifier et anticiper, lui-même s’y est mis et a créé sa propre salle de vente où l’on peut suivre les enchères sur place comme à distance grâce à l’universalité et la rapidité (disons plutôt les algorithmes) d’internet. Jean-Pierre Defossé, lui, préfère croire que la mode ne touche pas les mêmes personnes, selon une implacable équation : les maisons de vente pour les connaisseurs et les salons pour les moins avertis. «C’est le même marché, mais la clientèle est différente», dit-il. Il se souvient, au passage, de la mésaventure d’un ami qui, fendu d’un vase, l’a acheté d’un clic pour se retrouver, quelques jours après, avec un ersatz minuscule sur les bras. Ce n’est pas à l’Antiques & Art Fair que ça pourrait arriver. Des experts aux galeristes, tout le monde veille au trésor.