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[Football] Anthony Moris : «Une biographie, ça finit vite aux oubliettes»


(Photo : dr)

Et si la vie d’Anthony Moris se retrouvait au pied de votre sapin, le 25 décembre? On parle de la biographie du gardien de but de la sélection avec l’intéressé.

Aujourd’hui, Anthony Moris et ses années de galère sauront contre qui l’Union disputera les barrages de la Conference League après avoir gagné le droit reversé de la C3 à la C4 au bénéfice d’un succès contre le grand Liverpool (2-1) en Europa League. Pourtant, c’est pour parler de littérature qu’il convenait de l’appeler, à une semaine de Noël. Juste avant les cadeaux sous le sapin, le 23, il jouera à Eupen. Juste après, il affrontera le Club de Bruges, le 26. Entre… il aura peut-être vendu beaucoup de livres.

Votre biographie, sortie depuis peu, est disponible en deux couvertures. L’une avec le maillot de l’Union saint-gilloise, l’autre avec celui des Roud Léiwen. D’où est venue l’idée?

Anthony Moris : Par reconnaissance envers la fédération luxembourgeoise, envers des gens qui ont tenu une place très importante dans la construction de mon histoire! Luc Holtz m’a énormément soutenu et cela me semblait normal.

Mais vous vendez fatalement moins de livres avec la couverture « nationale » qu’avec celle de club, non?

(Il sourit) Je n’ai aucune idée des chiffres. Mon éditeur devait les avoir la semaine dernière, mais ils ne me sont pas parvenus. Mais oui, j’imagine que le potentiel marketing est bien plus important du côté des supporters de l’Union… En même temps, je me base moins sur les chiffres que sur les retours des gens et là, visiblement, ce livre fait son petit effet. C’est une histoire pas banale et c’est ce que je recherchais. Et je voulais la raconter pendant que les gens pouvaient encore voir sur les terrains le gars qui la racontait plutôt qu’une fois qu’il aurait raccroché les crampons. Ainsi, les gens peuvent s’identifier.

La saison passée, en Allemagne, nous avions rencontré des fans en marge du match d’Europa League contre l’Union Berlin, qui disaient à quel point vous étiez idolâtré au club. Au point de créer des passerelles entre le club et la sélection et inversement?

En fait, récemment, j’ai reçu une forte demande des fans du club qui souhaiteraient venir voir une éventuelle finale pour l’accession à l’Euro, le 26 mars (NDLR : si les Roud Léiwen battent la Géorgie, le 21, ils joueront alors le vainqueur de Grèce – Kazakhstan pour un dernier ticket), au stade de Luxembourg. Et dernièrement, un commentateur belge m’a fait remarquer qu’il avait croisé une colonie de supporters luxembourgeois au stade Duden. Du coup, j’ai l’impression qu’il y a un réel attrait pour ce que je fais et… enfin, c’est magique de faire se déplacer les gens comme ça!

En marge du match à Berlin, les supporters de l’Union parlaient presque plus de votre personnalité que de vos performances sportives.

Tant mieux. Quand j’aurai fini, j’aimerais qu’on se rappelle de moi comme d’un grand homme plus que comme d’un grand joueur. Mais je suis dans le bon club pour ça : leurs valeurs collent aux miennes.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans ce projet? 

Quand l’auteur et la maison d’édition (NDLR : Eric de Boer et Chronica) m’ont contacté en me disant qu’ils cherchaient à réaliser la biographie d’un joueur et qu’ils voulaient que ce soit moi à cause de ce parcours incroyable, fait d’énormément de résilience, il m’a fallu un peu de temps. Pourquoi moi, alors que je n’ai gagné aucun titre? Et puis, je me suis dit que c’était justement la première chose dont les gens qui croisaient ma route me parlaient : mon parcours. Récemment encore, un type m’a dit : « Tu te rends compte, il y a cinq ans, tu jouais en D3 et maintenant, tu affrontes Liverpool!? ». Une bio, pourtant, ça s’écrit en général à la fin d’une carrière et cela finit vite aux oubliettes. Moi, j’aspire à ce qu’il y ait une identification. Ce que je vise, c’est un public de jeunes footballeurs ou des joueurs qui pensent avoir raté leur chance. Des gars qui auraient pu être pros se retrouvent dans des divisions inférieures et vont commencer à baisser les bras. J’ai envie de leur dire que l’on récolte toujours ce que l’on sème. Alors oui, il y a des éléments qui ont joué en ma faveur, mais jamais je n’ai baissé les bras. Je n’aurais jamais pu.

Sur quoi est-ce que l’on construit une carrière comme la vôtre, justement? Sur ce qu’il arrive de négatif?

Sur le fait que plus les défis sont immenses, plus j’aime ça. Et j’en ai vécu, des batailles!

À 6 ans, j’étais capable de m’embrouiller avec les pères de mes adversaires qui regardaient le match au bord du terrain

Le négatif, c’est plus facile à raconter que le positif?

Quand il a fallu que je me replonge par exemple dans ma rééducation à Malines, que je faisais au milieu de la buvette parce qu’il n’y avait pas de salle de fitness, je me suis posé la question : « Mais où est-ce que tu as été chercher la force de caractère pour ça? Est-ce que tu es fou ou quoi? Regarde ce que tu as dû endurer ». Après, je crois au destin. Il y a des heures de souffrance derrière, mais ce que j’ai aujourd’hui, je ne l’ai volé à personne! Beaucoup de gens me disent : « Est-ce que tu te rends compte d’où tu serais sans toutes tes blessures? Dans quel club? À quel niveau? » Mais moi, je suis très content de tout ça et de la perception que j’ai de moi.

Quelle est la première question que votre co-auteur vous a posée?

C’était de me demander comment j’étais, étant petit. Il a fallu que je parle de ce gamin qui jouait dans le jardin avec ses frères et qui détestait perdre. Cela a pris plusieurs coups de fil. Parce que c’est dur de remonter aussi loin dans sa mémoire, de parler de beaucoup de choses perdues, de remettre le fil vert sur le fil vert. Mais je conseillerais à tout le monde de le faire. C’est comme ça que je me suis souvenu qu’à 6 ans déjà, j’étais capable de m’embrouiller avec les adversaires sur le terrain, mais aussi avec leurs pères qui étaient au bord. Je crois que j’avais ce truc en plus qui fait la différence. Et je crois aussi qu’on repère assez vite ceux qui ont ce qu’il faut pour finir pro.

Ce livre, c’est la prolongation de votre mentalité, alors?

Plus tard, j’aimerais travailler comme conseiller auprès de mon agent. J’aimerais pouvoir tendre ce livre aux joueurs et leur dire : « Je sais ce que tu vis, je suis déjà passé par là ». Parce qu’aujourd’hui, on ne conseille pas seulement un joueur, il y a une famille derrière et, souvent, surtout un père. On ne prend pas ses décisions seul quand on est jeune et les parents s’imaginent tout de suite des trucs fous alors qu’on en est encore loin. Il faut les tempérer.

On a le droit d’en parler, de votre père?

Le mien est très discret. Il n’a jamais cherché à s’immiscer, ne m’a jamais mis la pression. Bien entendu, il a un peu vécu son rêve à travers moi. Mais le titre du bouquin vient de lui. Pour ses 60 ans, il a fait un discours et dit un petit mot sur chacun de ses enfants. Me concernant, il a dit que j’étais le « gardien de ses rêves ». Ça devait être ça, le titre du livre. Mon père est un mordu de foot. Bien plus que moi. Il épluche tout et particulièrement ce qui me concerne. Et après, il m’envoie les articles alors que je m’en fous. Même si je comprends que c’est parce qu’il veut garder ce rôle de père protecteur, on en vient à s’engueuler. Vous savez quoi? Quand on a joué contre Liverpool, mon père n’a pas pu manger pendant deux jours! Alors que moi, que je joue à Châtelet ou à Anfield, c’est pareil! Si je ne suis pas bon, il ne sort pas faire ses courses de la semaine. Mais si je suis bon, il ne sort pas sans avoir le journal dans sa poche!

Au Liechtenstein, le mois dernier, à un repas, Seid Korac s’assoit à côté de moi et il me dit : « Raconte-moi ta carrière ». Mais on y aurait encore été trois jours plus tard!

Quel est le retour des joueurs de la sélection nationale sur ce livre?

Je sais que Ralph Schon l’a commandé sur internet et qu’Alessio Curci m’a demandé où le trouver. Pour les autres, je ne sais pas. Au Liechtenstein, le mois dernier, à un repas, Seid Korac s’asseoit à côté de moi et il me dit : « Raconte-moi ta carrière ». Je lui ai répondu qu’on y serait encore dans trois jours, mais qu’il pouvait acheter le bouquin. Alors, il l’a commandé pour partir en vacances. Je crois que la fédération, qui s’est investie dans le processus, va aussi en acquérir pour le CFN…

De quel joueur des Roud Léiwen aimeriez-vous lire la biographie, un jour?

Je serais heureux de lire un jour celle de Leandro Barreiro. Disons dans dix ans. Vu la maturité qu’il a déjà… J’adore les conversations très sensées qu’on peut avoir, lui et moi. Il a une de ces visions à seulement 23 ans, c’est fou! Il est taillé pour devenir une très grande personne avec une immense carrière.

Et s’il fallait très bientôt rajouter des chapitres à ce qui a déjà été écrit, à quoi aimeriez-vous que cela ressemble?

Vous voulez dire si l’Union devenait championne de Belgique et qu’on jouait la Ligue des champions? Ou qu’on se qualifiait pour l’Euro avec le Luxembourg? Je crois que je ne voudrais rien rajouter. Même si je pouvais changer la fin pour qu’elle se termine mieux, je ne le ferais pas. Cette biographie est avant tout porteuse d’espoir. Elle se termine sur la trempe qu’on prend, 9-0, au Portugal, et c’est très bien comme ça. L’idée, c’est qu’il faudra savoir s’en relever. Je ne réécrirai pas ce livre pour quelques succès. Le but n’est pas de raconter ça, mais tout ce qu’il a fallu faire pour y arriver. Finir sur un titre, ce serait tellement classique et commun…

Vous avez le livre, chez vous?

Oui. Mais je ne l’ai jamais lu. En fait, je devais corriger toutes les épreuves quand elles m’arrivaient, une par une, chapitre par chapitre, mais je ne l’ai jamais lu en entier. Ma femme, elle, l’a fait et elle m’a dit : « C’est bien parce qu’on a tendance à oublier le chemin par lequel on est passés ». Elle a raison de dire nous : on se connaît depuis qu’on a 16 ans. Ce livre est posé en évidence dans la cuisine, on ne peut pas le louper. Mais je m’empresse de le cacher quand des gens débarquent parce que je ne suis pas ce genre-là.

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