Andy Schleck a été déclaré vainqueur final du Tour de France 2010. Alors que l’édition 2020 qui a été reportée de deux mois, aurait dû s’élancer ce samedi de Nice, le jeune retraité luxembourgeois reconverti en marchand de cycles, évoque ses souvenirs mais préfère volontiers parler au présent.
Ce samedi aurait dû s’élancer l’édition 2020 du Tour de France. Une édition 2020 qui signe les dix ans du succès d’Andy Schleck, déclaré vainqueur sur tapis vert en février 2012, puisque l’Espagnol Alberto Contador avait été déclassé. Alors que les rediffusions des éditions 2010 et 2011 passent en boucle sur les chaînes sportives françaises, Andy Schleck accaparé par ses affaires, puisque le marché du cycle est en plein boom, jette un regard amusé et distancié sur cet anniversaire.
Regardez-vous les innombrables rediffusions des étapes du Tour 2010 et 2011 ?
Andy Schleck : Il y a toujours l’une ou l’autre rediffusion qui tourne dans mon magasin (NDLR : à Itzig). Mais j’ai revu les rediffusions proposées par RTL. Notamment les étapes que j’ai remportées en 2010 au Tourmalet puis celle du Galibier en 2011. Mais en fait, je ne voulais pas les regarder.
Pourquoi ?
Parce que j’ai des sentiments bizarres, ces rediffusions coïncidaient avec des moments où je voulais faire quelque chose avec les enfants mais ma femme a dit, « non, on va regarder ça avec les enfants ». Bon, on a commencé, je pensais que ça durerait juste cinq minutes avec les enfants. C’est quand même cool de revoir ça une fois, car il y a des étapes que je n’ai jamais revues. Tu vois des vidéos – j’en ai reçu plein – des étapes où tu lèves les mains. Mais là, en regardant ça, je suis resté attentif, à observer des détails qui m’avaient échappé lorsque j’étais en action. Par contre, je n’ai pas revu Liège-Bastogne-Liège (NDLR : l’édition 2009). Je n’étais pas chez moi lorsque RTL l’a rediffusé.
Jeudi après-midi, Eurosport France proposait encore une énième rediffusion de l’étape du port de Balès en 2010, étape remportée à Bagnères-de-Luchon par Thomas Voeckler. Durant cette étape, dans le port de Balès, vous attaquez avec le maillot jaune sur le dos, mais vous êtes victime d’un saut de chaîne. Et Alberto Contador en profite pour vous prendre le maillot de leader qu’il gardera jusqu’à Paris (NDLR : l’Espagnol sera donc déclassé le 6 février 2012 pour dopage par le Tribunal arbitral du sport). Laurent Fignon, consultant de France Télévisions (NDLR : l’ancien double vainqueur du Tour est décédé un peu plus d’un mois après, des suites d’un cancer) épiloguait sur cet incident…
(Il rit) Oui, c’est la vieille histoire, ça…
Cela vous semble loin ?
Oui et non. Dix ans, c’est rien du tout. J’ai parfois l’impression que c’était hier. Mais durant ces dix dernières années, il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie. J’ai été très occupé avec ma reconversion à la suite de l’arrêt de ma carrière (en octobre 2014). Par contre quand tu regardes les vidéos à la télé, on s’aperçoit qu’en seulement dix ans, la manière de filmer les courses a complètement changé. Ce n’était pas comme aujourd’hui.
Vous avez raison, mais cette étape du port de Balès était néanmoins très bien filmée…
Honnêtement, je n’ai jamais revu l’étape.
Vous en gardez le souvenir d’une blessure, puisque à l’époque vous en vouliez à Contador d’avoir attaqué à la suite de votre saut de chaîne ?
Non, non, pas du tout. Mais comme ce n’est pas une étape que j’ai gagnée, elle ne me procure rien de spécial. Sans doute que je pourrais la trouver sur YouTube…
Les gens ont réalisé aussi que ce n’est pas forcément la norme que chaque année des coureurs luxembourgeois, non seulement participent au Tour de France mais fassent la course, gagnent des étapes, portent le maillot jaune et montent sur le podium final
Vos clients qui viennent dans votre magasin de cycles à Itzig ont bien dû vous parler de toutes ces retransmissions qui passent en boucle, non ?
C’est juste, beaucoup m’en ont parlé, notamment celles diffusées par RTL. Avec le confinement, les gens ont eu le temps de revoir ça et c’est vrai que ce n’est pas si loin, dix ans. Les gens ont réalisé aussi que ce n’est pas forcément la norme que chaque année des coureurs luxembourgeois, non seulement participent au Tour de France mais fassent la course, gagnent des étapes, portent le maillot jaune et montent sur le podium final. Pendant des années, une fois que le renouveau du cyclisme luxembourgeois est devenu une réalité, je pense que le grand public a banalisé ça. Mais il a bien dû se rendre compte que ce n’était pas banal. Nous faisions un peu partie des stars du cyclisme de l’époque. Je le dis sans prétention. Lorsqu’on s’est arrêtés, je ne peux pas dire que les gens nous ont oubliés, mais à notre époque, tout ça semblait normal. Benoît Joachim avait été le premier à refaire le Tour. Puis ce fut Kim Kirchen et nous, les frères Schleck. Ensuite, avec les années qui ont passé et les éditions sans coureur luxembourgeois au départ, ils ont réalisé que ce n’était pas si normal que ça…
Revenons à cette fameuse situation actuelle avec le sport qui reprend doucement après une longue trêve forcée…
C’est la première fois de mon existence que j’ai pu ressentir une crise aussi forte. Nous sommes tous concernés. De près ou de loin. Certes, il y avait eu la crise financière en 2008, mais là, ce n’était pas comparable. Au Luxembourg et dans cette partie de l’Europe, on se sent généralement épargné par le spectre de la guerre notamment. On voit des images de pays, finalement pas si éloignés, mais on se sent toujours en sécurité. Ce n’est pas une guerre le coronavirus, mais tout s’est arrêté quand même. Le Luxembourg a, me semble-t-il, très bien réagi. On a souffert, mais moins que les pays qui nous entourent. Les gens ont très bien suivi les consignes. Certes, l’économie a souffert, mais encore une fois, il me semble que l’État a mis de bonnes choses en place. Et puis le confinement a eu des effets finalement agréables. On s’est occupés de nos familles, de nos jardins.
Comment cela s’est-il passé pour votre magasin de cycles ?
Je ne voulais pas fermer, je n’ai d’ailleurs jamais vraiment fermé. Les deux, trois premiers jours, on a terminé les réparations en cours. On ne savait pas combien de temps cela allait durer. Avant Pâques, on a ensuite eu beaucoup de demandes pour des vélos d’enfants. Livrer des vélos ce n’est pas un job difficile, mais si tu en livres 25 par jour, alors tu es bien occupé (il rit). On a fait des livraisons. C’est sûr qu’on a perdu du chiffre, mais on a continué à travailler. Et ces derniers temps, on travaille beaucoup. Depuis le déconfinement, je vois une file de clients devant la porte. C’est la première fois que je voyais ça depuis l’ouverture…
C’est le fameux boom du vélo qu’on observe depuis cette crise ?
Oui, il y a bien un boom. On a vendu des vélos de course mais aussi beaucoup de vélos d’enfants et de vélos électriques. Pendant le confinement, beaucoup de gens se sont remis au vélo. Donc pour certains d’entre eux, ils se sont rendu compte que leurs machines étaient vieilles, à réparer. Et puis c’est une bonne alternative au bus pour la circulation en ville. J’ai aussi remarqué que le vélo a réussi à se faire une belle place dans le trafic, ce qui n’était pas forcément toujours le cas avant le confinement. À Maastricht, Amsterdam, Copenhague, le vélo est un moyen de locomotion en ville, pourquoi pas à Luxembourg ?
Je me mets à la place des coureurs pour qui cet épisode est étrange
Revenons au cyclisme, l’absence de courses vous a-t-elle manqué ?
À part les dimanches de Paris-Roubaix ou de Liège-Bastogne-Liège que j’ai pris l’habitude ces dernières années de regarder. Mais je me mets à la place des coureurs pour qui cet épisode est étrange. J’ai eu l’occasion de discuter avec Bob (Jungels) et Jakob (Fuglsang) qui passent me voir au magasin, ils me disaient que c’était curieux pour eux de s’entraîner sans autre but que de s’entraîner. Au bout d’un moment, tu pars t’entraîner sans savoir pourquoi…
Et ce samedi, cela devait être le départ du Tour 2020 à Nice…
Normalement, j’aurais dû être à Nice (NDLR : Andy Schleck occupe une fonction d’ambassadeur pour Skoda). Ce sera retardé de deux mois. Bon il faut être prudent et continuer à suivre la situation, en espérant que cela évolue dans le bon sens. Tout a repris, l’école, l’économie. Je ne pense pas qu’un nouveau confinement strict soit possible, mais il faut être prudent. D’ici deux mois, cela laisse du temps. Je préfère rester confiant. Et puis en septembre, il y aura moins de monde sur les routes, moins de public. Donc je reste prudent, mais pense que c’est jouable.
C’est presque un miracle que le Tour ait lieu finalement vu la situation qui était celle de la France voici peu de temps encore…
Si on compare avec les Jeux olympiques qui sont reportés, c’est vrai. Mais le Tour vit de la télé. Il y a toute une économie derrière.
Le Tour de Luxembourg dont vous êtes le président, est lui aussi reprogrammé en septembre. C’est l’un des seuls évènements d’envergure au pays qui aura résisté s’il a lieu. Vous êtes confiant ?
Oui, on s’est dit, nous aussi on va le faire ! Mais évidemment, il faut que la situation reste ce qu’elle est. On appliquera toutes les règles sanitaires. Avec le gouvernement, on s’est bien organisés et nos partenaires privés comme les communes jouent le jeu. On est prêts.
Entretien avec Denis Bastien