Frappée par son mari pendant des années, Ana Pinto n’a pu compter sur aucune preuve de son calvaire lorsqu’elle a trouvé la force de porter plainte. Elle soutient le service Umedo qui documente les blessures des victimes.
Violences domestiques : les blessures s’effacent, pas les preuves
Aujourd’hui présidente de l’association La voix des survivant(e)s, Ana Pinto a connu l’enfer de la violence et de l’emprise psychologique auprès de son ex-mari, qu’elle a fini par quitter après 11 années de calvaire. Mais à l’époque, le service Umedo n’existe pas : lorsqu’elle finit par porter plainte, toutes les traces de ses blessures physiques ont disparu.
«J’aurais voulu pouvoir utiliser Umedo, avoir cette chance. Ça aurait tout changé pour moi», regrette-t-elle. «Une fois qu’on est partie, il ne reste plus rien, plus aucune preuve.» Selon la jeune femme, la principale crainte des victimes est justement de ne pas être crues. Un service comme Umedo permet de lever cette peur, et de faire un premier pas vers le dépôt de plainte.
D’autant que «partir» n’est pas si facile. «Une femme qui a élevé ses enfants et ne travaille plus depuis longtemps n’a aucune indépendance financière. Comment envisager de fuir le foyer sans activité, sans logement, et rien pour payer un avocat ?»
D’où l’importance de faire connaître davantage ce service encore trop discret. Un constat partagé par tous les participants à la table ronde organisée le 18 octobre au Laboratoire national de santé. Ces professionnels de la justice, de la santé et du milieu associatif, ont unanimement salué le fait qu’Umedo a créé une troisième option pour les victimes, là où il n’en existait que deux auparavant : porter plainte ou se taire.
«Aux urgences, quand une femme battue disait ne pas vouloir porter plainte contre son mari, on était démunis. Désormais, on peut l’orienter vers Umedo, afin qu’elle fasse au moins constater ses blessures», note Pol Wio, médecin urgentiste tout juste retraité. Il ajoute que, sur le terrain, la présence de l’agresseur aux côtés de la victime complique souvent cet échange.
La formation du personnel hospitalier au fonctionnement d’Umedo a aussi été soulevée, le service n’étant pas connu de l’ensemble des soignants. Même chose dans les lycées où Ana Pinto intervient pour de la prévention : ni les enseignants ni les élèves n’en ont entendu parler.
Et les victimes mineures ?
Le service n’est pas accessible aux mineurs, mais une offre pour les jeunes serait souhaitable, font remarquer certains. Andrée Birnbaum, directrice de Femmes en détresse, atteste qu’Umedo se révèlerait crucial pour de nombreuses jeunes filles victimes de violences sexuelles. «Elles se confient à nous dans un climat de confiance, ce qui nous permet de les aider. Hors de question de faire un signalement, tout lien serait rompu», témoigne-t-elle.
Pour le moment, le code de procédure de protection de la jeunesse ne permet l’accès à Umedo que pour les majeurs car la loi considère que toute violence sur mineur doit immédiatement être signalée et suivie d’une action du ministère public. Ce qui paraît louable. Cependant, cela revient à occulter la réalité : beaucoup de victimes mineures n’osent parler des violences qu’elles ont subies que bien plus tard, une fois adultes. Umedo ne ferait qu’ouvrir la voie vers une action en justice, et l’espoir d’une condamnation de leur agresseur. Ce qui paraît peu probable sans aucune preuve.