À partir d’une étude du chercheur David Porco, des mesures vont être prises afin d’éviter l’extinction de certains amphibiens, menacés par la contamination de deux champignons à travers le Grand-Duché.
À l’abri, pour l’instant, des grands changements climatiques ou de la déforestation, la faune du Grand-Duché ne reste pas moins exposée à certaines menaces. Sans bruit, deux champignons sont notamment en train d’infecter les mares et les populations d’amphibiens. Déjà observés dans le reste du monde, ces agents pathogènes mortels ont été mesurés par David Porco, biologiste et chercheur du musée d’Histoire naturelle de Luxembourg, dans le cadre d’une étude publiée le 5 janvier dernier. Spécialiste dans la détection d’ADN environnemental, David Porco a développé une technique de mesure des champignons plus précise afin d’éviter la contamination, voire l’extinction de certains amphibiens.
Qui sont ces champignons qui menacent les amphibiens au Luxembourg ?
David Porco : Il s’agit du Batrachochytrium dendrobatidis (« Bd« ) et du Batrachochytrium salamandrivorans (« Bsal« ), ce sont des pathogènes asiatiques importés et on pense que c’est une des causes majeures de l’extinction de populations d’amphibiens dans le monde. Il y en a d’autres, mais on s’aperçoit partout que les populations d’amphibiens s’effondrent à cause de ces pathogènes.
Quel était le but de votre étude ?
On m’a contacté afin de cartographier la présence de ces pathogènes. C’est important de savoir où ils sont, en particulier car on avait une problématique de réintroduction d’amphibiens dans des mares. Donc on voulait savoir si les amphibiens qui allaient être déplacés n’étaient pas contaminés et si les mares d’arrivée n’étaient pas contaminées non plus, afin de ne pas tuer des amphibiens sains ou introduire les pathogènes dans des mares saines.
Pour cela, j’utilise des méthodes moléculaires très sensibles. Les analyses ont été faites à partir d’échantillons d’eaux des mares ciblées. Dans cette eau, les organismes de la mare relâchent en permanence de l’ADN : lorsqu’ils se battent, saignent, défèquent, perdent des cellules et même si ce sont des champignons, c’est le même principe. On appelle cela l’ADN environnemental.
L’eau de la mare est comme un bouillon d’ADN de tout ce qui y vit : amphibiens, poissons, algues, les vaches qui sont venues boire, etc. On utilise donc des sondes qui vont se fixer spécifiquement sur l’ADN du pathogène et rien d’autre dans la mare.
Les populations d’amphibiens s’effondrent à cause de ces pathogènes
Quel résultat avez-vous obtenu ?
Le « Bd« a été détecté sur 15 des 24 sites. Il avait été déjà détecté en 2008 par Wood et ses collègues, puis en 2015 par le naturaliste Roland Proess. On savait donc qu’il était présent au Luxembourg, maintenant on commence à voir l’étendue de sa dispersion. Le « Bsal« , lui, n’avait pas encore été détecté au Luxembourg. C’étaient des concentrations assez faibles, mais on a eu un signal sur 4 des 24 sites.
Ce qui est important dans l’étude, c’est que la sensibilité de la méthode a été augmentée par une nouvelle technique de répétition d’échantillons. J’ai pu prendre en compte des signaux faibles, qui avant été jetés à la poubelle, pour les confirmer ou les infirmer afin de voir si on a un signal statistiquement probant ou non. Pour le « Bd« , la sensibilité a été augmentée de 28 % et pour le « Bsal« de 50 %. Dans le cadre de la détection de pathogènes, on ne veut pas se tromper. Même si on mesure une très faible concentration d’ADN de pathogène dû à un faible nombre d’individus dans la mare, il vaut mieux le détecter. Sinon, on pourrait introduire des amphibiens et favoriser le développement de la population de champignons pathogènes.
C’est une technique qui pourrait être utilisée pour des pathogènes humains ou d’autres animaux. Par exemple, si vous avez une bouteille d’eau et que vous voulez savoir s’il y a Ebola dedans, vous serez content de le savoir avec une très forte sensibilité. Avec les pathogènes, on ne veut pas de faux négatifs.
Les spores de ces champignons peuvent voyager de mare en mare
Quel risque menace les amphibiens ?
D’après la littérature, on sait que « Bd« va plutôt attaquer les « anoures« , les amphibiens qui n’ont pas de queue comme la grenouille. Pour le « Bsal« , ce sont plutôt les « urodèles« , ceux qui ont des queues, comme les salamandres ou les tritons. Mais les gens ont démontré que ces deux pathogènes peuvent être portés par des animaux réservoirs qui n’appartiennent pas forcément aux animaux qui vont être tués par le pathogène. Le « Bsal« peut être porté par une grenouille, même si cela ne va pas la tuer. Et inversement pour « Bd« .
Il peut avoir des résistances qui se développent dans les populations, mais il faut des populations assez importantes afin qu’il y ait une sélection d’individus résistants qui vont se reproduire. Mais lorsque les populations sont très petites, il y a plutôt un risque d’extinction.
Comment empêcher une extinction ?
Maintenant, ces mares ont été marquées et vont être surveillées. On ne va pas introduire ni en sortir des animaux. Les mesures, elles, vont être décidées avec le ministère et les personnes responsables du plan d’action. C’est assez difficile de se battre contre un pathogène. Vous avez une croissance exponentielle de développement, donc soit vous mettez de l’antifongique dans les mares – mais cela détruirait toute la communauté fongique des mares, qui sont potentiellement bénéfiques pour leur fonctionnement biologique –, soit vous isolez la mare pour que les individus ne puissent sans aller ou y rentrer, ce qui est très difficile.
Les spores de ces champignons peuvent voyager de mare en mare grâce aux oiseaux d’eau, à certains évènements climatiques ou à des promeneurs. C’est très compliqué d’arrêter la propagation de ces pathogènes. Je ne sais pas quelles mesures vont être prises, mais au Luxembourg certaines populations sont menacées. D’ici là, un réseau de mares sera surveillé annuellement et je vais continuer à travailler sur la détection afin d’améliorer la sensibilité si possible.