Les gardiens du centre pénitentiaire de Schrassig n’en peuvent plus, entre surpopulation carcérale et promesses des politiques qui se font fortement attendre. La mutinerie de lundi soir apparaît comme la goutte qui fait déborder le vase.
Les «Giichtchen», ou agents pénitentiaires, en ont véritablement ras la casquette et cela ne date pas d’hier. Ni de lundi, jour où une rébellion s’est déclarée au sein de la section «Alpha» de l’unique prison du Grand-Duché. Avec plus de 600 détenus, le centre pénitentiaire national est, en effet, largement surpeuplé et la future prison de Sanem (Uerschterhaff), censée le soulager, se fait attendre.
«Des conditions très difficiles»
Beaucoup trop longtemps d’ailleurs, selon Pascal Wohl, le président depuis quatre ans de la délégation du personnel, qui représente quelque 500 agents pénitentiaires. «Nous attendons avec impatience l’ouverture de la future prison de Sanem. Car on a vraiment l’impression que le projet recule encore et encore. Il faudrait, à l’inverse, que les politiques s’activent et que le projet avance !», s’indigne-t-il. Car, selon lui, l’établissement, dont l’ouverture est prévue pour 2022, se fait franchement attendre. «Nous travaillons dans des conditions très difficiles», poursuit-il, en évoquant une promiscuité insupportable, aussi bien pour les gardiens que pour les détenus. Cette situation intenable peut aisément être qualifiée de «cocktail explosif», selon Pascal Wohl, qui évoque également «un besoin urgent» de nouvelles infrastructures.
En cause, la multiplicité problématique de nationalités, cultures et religions qui se côtoient à Schrassig. Sans parler de la diversité des peines prononcées à l’encontre des condamnés. «L’ambiance est brûlante et il est extrêmement difficile pour nous de travailler dans ces conditions», s’exclame encore le président de la délégation du personnel pénitentiaire, qui se sent clairement abandonné par les politiques. Les tensions, quotidiennes, le font sortir de ses gonds, parce que Pascal Wohl est un homme altruiste qui ne pense pas qu’à son petit confort. En effet, il milite tout aussi bien pour le bien-être des prisonniers. «Il faut donner de l’air aux détenus !», revendique-t-il. Une revendication qui va de pair avec la réforme de l’administration pénitentiaire tant attendue. Et les délais interminables la concernant semblent effectivement lui donner raison.
Le long chemin vers la réforme
Car le projet de loi n°6382 déposé en 2012 par l’ancien ministre de la Justice François Biltgen n’a jamais été voté et le texte de son successeur, Félix Braz, n’a été adopté en Conseil de gouvernement qu’au mois de juillet dernier. Il va encore falloir attendre les avis du parquet général, du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, du service central d’Assistance sociale, sans oublier les avis du Collège médical, de la Ligue des droits de l’homme et bien entendu du Conseil d’État. Une fois avisé à tous ces niveaux, le texte devra encore être renvoyé en commission parlementaire juridique et effectuer la navette vers les Sages.
Bref, la loi n’est pas près d’être votée, malgré l’urgence. Pourtant, elle propose un début de réponse avec la création d’une administration pénitentiaire au sens propre du terme dont la tâche principale «sera de veiller au bon déroulement de la détention et de l’exécution des peines tout au long du parcours du détenu». Mais son objectif principal porte sur la réinsertion des détenus : le texte vise à «créer les structures et procédures nécessaires en vue d’une meilleure intégration des condamnés dans la société après avoir purgé leurs peines, notamment par l’introduction du plan volontaire d’insertion (…)».
La rébellion qui a éclaté dans la soirée de lundi dernier constitue un cas d’école. «Les relations que nous entretenons au quotidien avec les détenus sont, en temps normal, basées sur le respect mutuel. Mais quand un incident se produit, la situation peut très rapidement dégénérer», explique Pascal Wohl qui ne cache pas que certains irréductibles détenus évitent, voire refusent toute forme de dialogue avec les gardiens. «Nous voulons simplement faire notre boulot de notre mieux. Et une prison n’est pas un hôtel, contrairement à ce que l’on pense parfois à l’extérieur», conclut Pascal Wohl.
Claude Damiani
Vodka « made in Schrassig »
Si l’alcool n’est pas toléré en prison, les détenus rivalisent d’ingénuité pour le fabriquer eux-mêmes. Il suffit de passer une commande de jus, que l’on mélange à des fruits – servis lors des repas – dans un seau destiné au nettoyage, puis de laisser macérer le tout pendant deux à trois jours. Il faut ensuite fermer le seau en y appliquant un sachet ou filet en plastique. Le processus de fermentation est connu de tous et les «meilleures» recettes circulent forcément en prison.
«Il y quelques années, nous avons découvert de la vodka artisanale faite à base de pommes de terre, d’une qualité assez élevée», indique Pascal Wohl. Ceci dit, il est très probable que des bouteilles d’alcool, tout comme de la drogue ou des GSM, puissent passer à travers le filtre des fouilles, via les parloirs, bien que la question soit taboue.