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«All We Imagine as Light», l’indé indien des Films Fauves


All We Imagine as Light raconte les amours entravés et les contraintes quotidiennes de «trois femmes qui se cherchent et qui se révèlent, y compris à elles-mêmes».

La coproduction luxembourgeoise All We Imagine as Light a reçu samedi le Grand Prix du festival de Cannes. Le producteur Gilles Chanial, des Films Fauves, nous refait le film.

S’il fallait décerner une palme de l’émotion du dernier festival de Cannes, qui s’est terminé samedi soir avec le triomphe d’Anora, son réalisateur, Sean Baker, se ferait sans aucun doute coiffer au poteau par Payal Kapadia, qui a soufflé une vague d’émoi avec son œuvre lumineuse, All We Imagine as Light.

Coproducteurs luxembourgeois du film, Gilles Chanial et Govinda Van Maele, des Films Fauves, gardent un souvenir impérissable de la projection officielle cannoise, jeudi dernier : «Il y a eu une vague d’émotion dingue, raconte le premier. Quand il y a 1 500 personnes derrière toi, ça pousse !»

Et d’analyser : «Si on connaissait les qualités du film, à Cannes, on ne sait jamais comment les astres s’alignent. Peut-être qu’on a bénéficié d’une projection tardive au sein d’une compétition plutôt morose», analyse-t-il encore. Quoi qu’il en soit, l’enthousiasme a été unanime, en salle comme dans la presse. «Même les critiques, plutôt fatigués en fin de festival, ont été dithyrambiques», rigole le producteur.

Et c’est avec la même liesse que cet outsider magnifique a obtenu, moins de 48 heures après sa projection, le Grand Prix du festival de Cannes sur la scène du Grand Théâtre Lumière.

«On n’a pas eu à attendre longtemps, rembobine Gilles Chanial : la projection a eu lieu jeudi à 22 h, et samedi matin, on nous demandait de rester à la projection du soir», synonyme d’un prix à la clé. Le dauphin de la Palme d’or a été révélé en fin de cérémonie : «On voyait défiler les récompenses, et on s’est presque pris à rêver de la Palme !»

Mais toute la salle s’est subitement illuminée lorsque le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda, palmé et multiprimé à Cannes, a annoncé le Grand Prix. «C’était un moment hyperfort : toute la salle s’est levée et Payal a fait un discours simple mais déterminé – à son image.»

Contribution déterminante

À 38 ans, Payal Kapadia réalise son premier long métrage de fiction avec All We Imagine as Light, attendu en salles en octobre prochain. Malgré l’Œil d’or (prix du documentaire) déjà décroché à Cannes en 2021 pour A Night of Knowing Nothing – un essai envoûtant autour d’une histoire d’amour épistolaire –, sa nouvelle œuvre fait déjà date.

Et pas seulement parce qu’il s’agit là du premier film indien en compétition sur la Croisette depuis 30 ans. La cinéaste y raconte les amours entravés et les contraintes quotidiennes de «trois femmes qui se cherchent et qui se révèlent, y compris à elles-mêmes, en prenant conscience de leur pouvoir», résume le producteur, qui loue encore la «subtilité» et la «force immense» de l’œuvre.

«C’est un film qui illustre bien que, dans la simplicité, il n’y a pas de simplisme. On y parle de résilience, de combat, d’ouverture à l’autre, et je crois qu’à l’approche d’élections, il y a un écho très fort.»

Bollywood a beau être l’une des plus grosses industries cinématographiques au monde, elle n’a que peu d’égards pour ses auteurs plus jeunes et indépendants – en particulier lorsqu’il s’agit d’une femme cinéaste, «poétique et politique» comme l’est Payal Kapadia.

Ainsi, le financement minoritaire du Luxembourg (via l’aide aux cinémas du monde Cineworld du Film Fund) et la contribution des Films Fauves sont arrivés «à un moment déterminant pour l’existence du film, comme une manière d’aider l’œuvre au moment où elle était le plus fragile»; après tout, «la modestie est une qualité luxembourgeoise», nous glissait déjà Gilles Chanial l’année dernière.

Mais «le Luxembourg aide aussi les cinématographies internationales à se déployer», tient-il à rappeler malgré tout. «Bien sûr qu’on met beaucoup d’énergie dans nos talents luxembourgeois, mais on défend aussi le cinéma auquel on croit, et les deux sont inextricablement liés.»

Et s’il fallait une preuve pour étayer son propos, choisissons la plus belle à l’échelle nationale, soit le Filmpräis du meilleur long métrage, l’année dernière, pour Kommunioun (Jacques Molitor, 2023).

«Force de travail»

Après leur triplé cannois de l’année dernière, avec Wang Bing (Jeunesse (Le Printemps), en compétition officielle), Rodrigo Moreno (Los delincuentes, en sélection Un certain regard) et Bertrand Mandico (Conann, à la Quinzaine des cinéastes), Les Films Fauves, cinéphiles jusqu’au bout des ongles, montrent encore avec All We Imagine as Light qu’ils ont vocation à amener et défendre au Luxembourg un cinéma «en marge».

Le Grand Prix du festival de Cannes – la plus prestigieuse des treize récompenses obtenues jusqu’ici par une coproduction grand-ducale – «nous rend d’autant plus fiers d’avoir cru» en cette nouvelle voix qui, à l’évidence, partage le même ADN que ses producteurs grand-ducaux.

«Payal a une aura particulière, elle fédère les gens autour d’elle. Derrière son apparente simplicité, il y a une vraie force de travail», abonde Gilles Chanial, certain que son film, «exigeant mais très accessible», saura briller auprès d’un public beaucoup plus large que celui des amateurs d’art et essai.

Mais All We Imagine as Light n’est qu’au début de son petit bout de chemin, que l’on ne peut qu’imaginer radieux : avant sa sortie en salles, le film embarque pour une tournée des festivals aux quatre coins du monde, bien déterminé à faire voir une autre facette du cinéma (et de la société) indien(ne).

Quant aux Films Fauves, s’ils ont eu le temps de fêter le sacre du film sur la Croisette, ils ne chôment pas depuis leur retour dans leurs bureaux de Differdange.

Occupé par la finalisation d’un prochain long métrage, Gilles Chanial prend tout de même une minute pour remettre en perspective la belle histoire que sa société continue d’écrire, avec un Grand Prix qui tombe, hasard du calendrier, l’année de leurs dix ans d’existence : «Cette récompense, comme nos trois sélections cannoises l’année dernière, nous font simplement nous rendre compte qu’en produisant le cinéma qu’on aime – donc, qu’on a envie de faire exister –, on est peut-être dans la bonne direction…»

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