La Stëmm vun der Strooss et sa directrice, Alexandra Oxacelay, font face à une hausse toujours constante de demandes dans leurs structures, qui ne correspondent plus vraiment à la situation sur le terrain aujourd’hui.
Alors que les files d’attente ne désemplissent pas devant les différentes structures de la Stëmm vun der Strooss, sa directrice, Alexandra Oxacelay, souhaiterait la création d’autres établissements, plus petits et adaptés à la population de sans-abri du Grand-Duché.
Quelle est la situation aujourd’hui à la Stëmm vun der Strooss ?
Alexandra Oxacelay : Il y a de plus en plus de monde. Rien qu’à Hollerich, nous distribuons désormais 400 repas par jour. Sept cent vingt dans nos trois restaurants sociaux. Nous n’avons pas encore les chiffres officiels de cette année, mais vous l’avez vu, le restaurant est rempli (NDLR : l’interview s’est déroulée dans le restaurant de la Stëmm situé à Hollerich), et si vous venez vers 11 h 30, vous voyez la queue dehors des personnes qui attendent pour venir manger.
Il y a de plus en plus de nouvelles personnes, défavorisées, qui viennent de partout et ce que nous leur offrons comme mesure d’urgence ne suffit pas. Aujourd’hui, ça ne suffit plus. Ça n’a jamais suffi en fait.
Les profils de personnes qui fréquentent la Stëmm ont-ils changé ?
Oui, le profil des gens change. Nous voyons de nouveaux pauvres, des working poor, qui sont des personnes qui travaillent mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Nous avons toujours ces mêmes demandes, de logement, de travail pour ceux qui n’en ont pas.
Beaucoup de nos bénéficiaires sont issus de l’immigration aussi. Malheureusement, ils font fuir un peu la population pour laquelle nous sommes supposés être là. Les sans-abri n’aiment pas les endroits où il y a trop de monde. Ou de règles. Mais quand vous devez faire passer rapidement 400 personnes, leur donner à manger, leur offrir une douche ou une consultation médicale, la possibilité d’aller chez le coiffeur… Nous sommes obligés de cadrer un minimum.
Nos structures ne sont plus adaptées à la population à laquelle nous nous adressons. C’est pour cela qu’il est important d’ouvrir de nouveaux établissements plus petits. Ce qui manque toujours au niveau national, ce sont des structures ouvertes le week-end, le soir à partir de 19 h, le matin aussi pour les petits-déjeuners… Il n’y a pas grand-chose.
J’aimerais bien rentrer dans la cour des grands
L’Action hiver (Wanteraktioun) vient d’ouvrir ses portes au Findel. Est-ce que cette action soulage un peu la Stëmm ? Comprenez-vous la mise en place de nouvelles règles pour y accéder ?
Nous étions complémentaires jusqu’ici. Cette année, je ne sais pas, il faut voir, cela vient seulement d’ouvrir.
Concernant les règles, je comprends qu’on ne puisse pas accepter toutes les personnes, ni résoudre toute la misère du monde. Mais à partir du moment où on dit qu’on met en place une telle action, qu’on voit que la pauvreté augmente, que le terrain le dit, ce n’est peut-être pas le moment idéal pour mettre ce type de règles en place. Imaginez les tensions que cela va créer ? Déjà pour les personnes qui savent qu’elles ne peuvent rester que trois jours, ensuite celles qui vont devoir attendre que l’on vérifie quand est-ce qu’elles se sont inscrites, si l’attestation est valide, etc. Ça m’étonnerait qu’ils arrivent à tenir ça jusqu’à la fin de l’action.
Je vous avoue que nous avons été un peu pris de court avec cette histoire de ne pas accepter toutes les personnes. D’habitude, nous commandons des sacs de couchage pour les avoir au mois de mars et les distribuer à la fin de la Wanteraktioun, pour ne pas faire de doublon. Là, nous avons dû les commander en catastrophe, pour essayer d’en avoir le plus possible, rapidement. D’ailleurs, nous lançons un appel : si des gens ont des sacs de couchage vraiment chauds, qui permettent de dormir dehors à des températures négatives, nous sommes preneurs.
Ça pourrait aussi être une idée, peut-être, d’acheter des tentes, comme une association l’a fait à Paris récemment.
En juillet dernier, Marcel Detaille, ancien directeur de la Stëmm, expliquait sur RTL que vous accueillez « de plus en plus de jeunes ». Vous confirmez ?
Oui, complètement. Mais les jeunes qui viennent avec leur maman ou leur papa sont issus de l’immigration. Nous voyons des bébés qui viennent dans des poussettes, ça, c’est nouveau. Jusqu’ici, nous n’acceptions que les adultes. Maintenant, les mineurs accompagnés peuvent également venir, mais ce n’est pas l’idéal.
Le Luxembourg figure parmi les pays européens au taux de pauvreté infantile le plus élevé. Est-ce que cela se ressent aussi sur le terrain?
Bien sûr, oui. De toute façon, le Luxembourg a un taux de pauvreté de 20 %, alors que nous sommes l’un des pays les plus riches du monde. Mais c’est normal, le niveau de vie est très élevé aussi. Les logements sont hors de prix.
Nous avons toujours parlé des jeunes dans la rue. Le problème, c’est que ceux qui n’ont pas de droits, qui sont issus de l’immigration, ou alors les frontaliers qui viennent dans l’espoir de trouver du travail ici ne trouvent pas de logement. Alors qu’ils ont un travail. Donc, oui, nous savons qu’il y a aussi des enfants touchés, c’est certain.
Le problème pour les jeunes de 18 à 25 ans, c’est qu’ils n’ont pas de droits. Pour avoir accès au Revis, il faut avoir 25 ans. Et pour les jeunes qui arrêtent d’aller à l’école, qui ne sont plus obligés d’aller dans les foyers et qui sont attirés par la rue, (parce que la rue, c’est un peu comme une famille) il faut trouver des solutions.
Est-ce que le scandale Caritas de cet été (un détournement de fonds de 61 millions d’euros) a eu une incidence sur votre association ?
Je n’ai pas l’impression, en tout cas, pas jusqu’à présent et j’espère que ce ne sera pas le cas. Les donateurs continuent à nous soutenir, nous sommes très sollicités. Au mois d’août, nous avions autant de dons qu’à la fin de l’année 2023.
Je ne dis pas que nous, ça ne pourrait pas nous arriver. En revanche, nous avons renforcé nos moyens de contrôle. Nous nous sommes assuré qu’un tel détournement ne sera pas possible chez nous. Nous avons travaillé avec un membre du conseil d’administration qui était chez PwC auparavant : nous avons épluché tout cela ensemble et passé du temps là-dessus pour nous protéger.
Nous avons des bébés qui viennent dans des poussettes, c’est nouveau
La Stëmm récolte de plus en plus de dons. Vous avez davantage communiqué cette année ?
Oui, nous avons mis l’accent sur la sensibilisation, en engageant une personne pour s’occuper de notre communication. C’est important, nous ne récoltons pas des dons juste pour récolter et dire « on est bons« . Nous finançons 15 salaires et il y en a 12 qui sont des salaires de personnes de plus de 50 ans. Ce sont des projets de réinsertion professionnelle pour des chômeurs de longue durée de plus de 50 ans.
Actuellement, nous avons 250 personnes qui travaillent sur les neufs sites à travers le pays. Mais ce sont des profils de plus en plus faibles : ils ne parlent pas notre langue, ont des problèmes de santé, voire des soucis psychiques… Et la masse de travail est là. Il faut préparer 700 repas par jour, laver 4 000 uniformes par semaine, retransformer 200 tonnes de nourriture. Nous faisons vraiment travailler les gens, mais vu leurs soucis, cela prend plus de temps et nous avons besoin de davantage de monde pour les encadrer. C’est pour cela que nous avons embauché ces chômeurs de longue durée plus âgés, qui ont un profil « plus fort« .
Et c’est aussi pour cela que c’est important d’avoir des dons : tout n’est pas payé par le ministère.
Vous avez justement eu un don très généreux en mai dernier : 100 000 euros ! Ce type de geste redonne-t-il un peu d’espoir pour ce que vous faites au quotidien ?
Ça donne faim surtout, nous en voulons toujours plus! (Elle rit) Sans argent, nous ne faisons rien. J’aimerais bien rentrer dans la cour des grands, vous savez. Avoir des dons de 10 000 euros. Là, cela commence à venir, mais il y a d’autres associations qui existent depuis beaucoup plus longtemps au Luxembourg et qui ont un public plus facile à vendre. C’est plus facile souvent de convaincre les gens de donner de l’argent pour des enfants malades que pour des sans-abri, des drogués et des alcooliques. Mais il ne faut pas être jaloux des autres : il y a du travail pour tout le monde et il est important de soutenir chaque cause.
D’ailleurs, toutes les personnes qui souhaitent faire du bénévolat peuvent s’engager via le service de la banque alimentaire, qui récupère des denrées alimentaires pour nos trois restaurants sociaux.
Vous avez tourné un documentaire (NDLR : Pauvre et sans-abri dans un pays riche) avec la chaîne de télévision ARTE, diffusé cette année. C’était important pour vous ?
Ça nous a apporté énormément de visibilité. Nous n’étions jamais passés à la télévision. Et ça, au bout de 26 ans à travailler ici… C’est une vraie reconnaissance. Et puis, beaucoup de gens nous ont contactés, ont dit qu’ils aimeraient aider, etc. Ça nous a énormément apporté.
Quels sont les projets à venir pour la Stëmm vun der Strooss ?
Nous voulons agrandir le restaurant à Ettelbruck, c’est l’une de nos priorités. Il y aura aussi une extension créée pour le restaurant à Hollerich. Et d’autres petits projets que nous sommes en train d’imaginer, notamment du côté de Niederkorn. La traditionnelle fête de Noël aura lieu le 12 décembre. Comme il y a eu du changement récemment au conseil d’administration (NDLR : Marcel Detaille a cédé sa place à la présidence), nous essayons de nous stabiliser un peu avant de relancer complètement la machine.
État civil. Alexandra Oxacelay est née le 22 janvier 1972 à Luxembourg. Elle est divorcée et mère d’un garçon.
Formation. Elle a accompli des études de journalisme et communication à l’université libre de Bruxelles (ULB).
Profession. Elle est la directrice de la Stëmm vun der Strooss : «Je gère le chaos.»
Stëmm vun der Strooss. Elle travaille au sein de l’ASBL depuis 26 ans. Elle a commencé en 1992 pour réaliser le journal Stëmm vun der Strooss, qui n’existait pas alors.
Passion. La musique est l’un de ses passe-temps favoris. «J’adore danser, faire la fête, être avec les gens.»