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[Album de la semaine] «Sundial», le manifeste hautement nocif de Noname


Elle se présente sans ambages comme «une marcheuse de l’ombre, une traqueuse de lune, une autrice noire, une bibliothécaire, une femme à contre-courant».

L’idée même de la définir comme une «simple» rappeuse lui renvoie une version décatie de son reflet. Il y a bien cinq ans qui séparent Sundial de son prédécesseur, Room 25 – un laps de temps qu’elle suggère avec humour dans ce même autoportrait vieilli. Depuis, Noname a maintes fois répété son envie d’abandonner la musique, une pensée motivée par la frustration et le refus de la compromission, devenue plus tangible lorsqu’elle a annulé la sortie, déjà maintes fois repoussée, de ce qui devait être son deuxième album, Factory Baby. L’artiste poétesse de Chicago s’est alors tournée vers le militantisme à travers la littérature, en ouvrant un club de lecture qui met en avant les auteur(e)s issu(e)s des minorités et des communautés LGBT+, ainsi qu’une bibliothèque au nom féroce, Radical Hood Library, qui lui sert d’antenne à Los Angeles.

Toujours aussi concise, Noname vide son sac sur des compositions raffinées, exposées comme des « moods »

Dès la première écoute de Sundial, l’artiste de 31 ans n’a aucune difficulté à prouver qu’elle n’a perdu de la musique ni la passion ni l’adresse. Toujours aussi concise – les onze titres s’enchaînent en dépassant à peine la demi-heure –, elle vide son sac sur des compositions raffinées, exposées comme des «moods» : jazz, neo-soul, rap «old school», bossa nova… On devine les hommages rendus à D’Angelo ou Erykah Badu, dont elle perpétue l’héritage musical en le renouvelant, ainsi qu’à un autre rappeur-poète-militant de sa «Windy City», Common. C’est ce dernier qui clôt l’album, un pilier du rap conscient parmi une foule d’invités inspirés, comptant dans ses rangs Billy Woods, Ayoni, $ilkMoney, Jay Electronica ou encore, côté production, le Londonien Yussef Dayes.

Tout ce beau monde n’enlève rien au contenu hautement nocif de Sundial et Noname porte ce nouveau disque comme le manifeste de sa double radicalisation artistique et politique. Elle peut se targuer d’être, plus que quiconque dans le «game», l’ennemie jurée du racisme, du capitalisme et de l’impérialisme – bref, de l’injustice. Afin de délivrer un message politisé, certains rappeurs usent de métaphores élaborées quand d’autres préfèrent tirer à vue; forte d’un «flow» blasé qui rend franchement accro, Noname se place en équilibre entre ces deux méthodes et laisse sa colère et son érudition faire le reste. Elle s’en prend à Jay-Z, Beyoncé, Rihanna et Kendrick Lamar (Namesake) pour avoir joué au Superbowl, l’évènement sportif qu’elle compare à de la propagande militaire; elle renvoie à leur propre honte Disney, les maisons de disques et le festival de Coachella, moteurs d’une spectacularisation des questions de société. Une critique qui touche jusqu’à sa «fanbase» d’hommes blancs, «fascinés par le deuil, ils espèrent que le trauma la détruise» (Balloons). Et ne se prive pas non plus de cibler Barack Obama, «premier président Noir, et c’est lui qui nous bombarde» (Hold Me Down).

Mais la rage de Noname ne se mesure pas uniquement au «body count» qu’elle laisse derrière elle. Elle ne revient pas par hasard cinq ans après ce premier album où elle lâchait un provocant «ma chatte a écrit une thèse sur le colonialisme»; elle ne s’intéresse pas au fait qu’on la «voie grandir», mais bien qu’on la retrouve déjà grandie. Ce n’est pas un album, c’est une forme différente d’acte militant. Qui lui permet de réfléchir avant toute autre chose sur elle-même, employant à tour de rôle la première et la troisième personne pour s’autoanalyser, selon qu’elle se montre coupable ou victime. La poétesse lâche de profondes honnêtetés qui filtrent sous la colère, et la vulnérabilité qu’elle laisse voir est incontestable. C’est peut-être son dernier album; qui sait à quoi Noname se dédiera par la suite? Pour autant, Sundial ne signe la fin de rien. C’est plutôt le début de quelque chose d’autre. Une nouvelle bataille.

Noname – Sundial

Sorti le 11 août

Label Noname, Inc.

Genre rap