Le nouvel opus de Russian Circles dévoile un programme copieux qui gronde dès les premières secondes.
La musique n’a pas toujours besoin de paroles pour faire passer un message ou une émotion. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’un groupe «live», qui privilégie les instruments et le savoir-faire aux possibilités – voire aux facilités – permises par l’électronique. Il faut pour cela, bien sûr, posséder une certaine technique et un talent pour la composition. Rien de tout ça ne fait peur à Russian Circles, qui porte à bout de riffs assassins une musique aussi imposante qu’émotive.
Album après album, le trio qui fait résonner les studios de Chicago depuis bientôt 20 ans, et qui garde assez d’énergie pour faire péter leurs morceaux dans la fureur de la scène – on les a notamment vus au Luxembourg en 2015 pour le festival Out of the Crowd et à plusieurs reprises à la Rockhal, dont la dernière fois en 2018 – poursuit son chemin en gardant toujours le même enthousiasme, le même talent et toujours cette envie de ne jamais se répéter, comme le prouvent les titres des albums, qui leur servent aussi de thèmes.
La cohérence plutôt que la méthode
Le nouvel opus répond au titre de Gnosis : l’élément central du gnosticisme, un principe philosophique tiré du mot grec qui signifie «connaissance», et qui nous dit, grosso modo, que la vraie nature du divin se dévoile dans la connaissance de soi. Un programme copieux que nous propose Russian Circles, et dont l’idée a sans doute été déclenchée par deux ans de pandémie, durant lesquels les trois Chicagoans n’ont pas pu se livrer ensemble à leur activité favorite. La pochette de Gnosis en porte d’ailleurs les stigmates, avec cette photo en noir et blanc de deux hommes coincés au sommet d’une tour faite de tiges de métal. Une vision désolante qui trouve, à l’intérieur du disque, autant d’écho que de ripostes.
Riff sinistre
Que l’on ne s’attende pas, comme c’est souvent le cas avec les groupes de metal, à une démonstration de la virtuosité des musiciens. Eux privilégient la cohérence à la méthode et, en 40 minutes, jugent qu’ils n’ont pas le temps de poser les bases. Ça gronde dès la première seconde (Tupilak), avec un riff sinistre qui a tout l’air d’être un bruit de moteur, jusqu’à ce que la batterie s’ajoute dans le mélange.
Si ce sont bien la basse et (surtout) la guitare qui créent les textures des différents morceaux – Ó Braonáin, courte ballade expérimentale où la guitare est le seul instrument, en est la preuve exagérée –, c’est bien la batterie qui mène tout le projet – la meilleure illustration réside dans l’explosion death metal qui coupe la courte pause aérienne en ouverture du morceau suivant, Betrayal.
Russian Circles envisage sa musique comme un peintre son tableau
Il faut souligner la très haute qualité de la production, que l’on doit à l’entourage prestigieux de Russian Circles : d’une part, Steve Albini et son légendaire studio Electrical Audio, où a été enregistré l’album, de l’autre, des arrangements et un mixage signés Kurt Ballou. Il ne fait aucun doute que le mérite de la composition et de la création de ces paysages sonores colossaux, menaçants et nerveux revient entièrement à Russian Circles; pour autant, il y a fort à parier qu’ils n’auraient pas sonné tout à fait pareil sans ces monstres de la production musicale. Gnosis, c’est la représentation parfaitement claire d’un monde austère, une expérience physique, mentale et spirituelle tout à la fois.
Russian Circles a cette habilité formidable d’envisager sa musique comme un peintre son tableau, et fait alterner dans un même morceau poussées violentes et prise de hauteur, avec l’ombre du post-rock qui plane sans cesse au-dessus de leurs compositions (Gnosis, Vlastimil) et qui donne cette saveur si particulière à l’album. Jusqu’à y plonger corps et âme pour un dernier morceau, sublime (Bloom). Comme une délivrance, une révélation divine.
Gnosis, Russian Circles. Sorti le 18 août, Label Sargent House. Genre metal / post-rock