Avec And I Have Been, composé durant le confinement, Benjamin Clementine répond à une question que beaucoup d’artistes se sont posée au moment du covid : qui suis-je?
Benjamin Clementine a longtemps souligné qu’il ne se définissait pas par son parcours cabossé; pourtant, ce qu’il a traversé est indéniablement en lien avec l’immense artiste qu’il est devenu. À la majorité, le Londonien est parti à Paris, gagnant durement sa croûte en jouant dans le métro le jour et dormant dans la rue la nuit. Une trajectoire qui ressemble à celle des poètes maudits et romantiques, et qui a pris une tournure inattendue quand son premier album, At Least for Now (2015), lui a valu le prestigieux Mercury Prize.
Avec I Tell a Fly, sorti deux ans plus tard, il était clair que l’artiste n’allait pas utiliser sa nouvelle renommée pour rentrer dans les clous. Au contraire, ce deuxième disque largement expérimental défiait encore plus toute tentative de catégorisation, laissant planer le mystère sur ce à quoi allait ressembler la suite de sa discographie.
Un disque direct et dépouillé
La réponse arrive après cinq ans avec And I Have Been, et Benjamin Clementine frappe une fois de plus là où on ne l’attend pas. Avec un disque plutôt direct et dépouillé, qui laisse de côté les structures complexes et les tentatives d’expérimentation, plaçant le «storytelling» au premier plan. Même les sublimes envolées orchestrales, qui font la part belle aux cordes, se font entendre le plus souvent en retrait de la voix et du piano prédominants.
Entièrement écrit, composé et enregistré durant les périodes de confinement, And I Have Been répond à une question que beaucoup d’artistes se sont posée au moment du covid : qui suis-je? La réponse est forcément complexe. «Ce sont les chemins solitaires qui (…) donnent du sens à nos vies», chante-t-il sur Copening. Et remonte le sien jusqu’à ses origines (Genesis, une valse étrange jouée à l’orgue) en se disant «prisonnier de la liberté».
Tout du long, ce troisième album est frappé par l’affliction, causée par la méconnaissance de soi, et soignée par sa redécouverte. Mais aussi par les bonheurs que Benjamin Clementine a connus depuis son précédent album : l’amour (il est marié à la musicienne Flo Morrissey, que l’on entend régulièrement dans And I Have Been) et la naissance de leur premier enfant.
Un disque direct et dépouillé, qui place le « storytelling » au premier plan
D’une voix ronde et profonde, il se livre à une déclaration d’amour dans Atonement, écrite dans une langue superbement abstraite, puis, dans la ballade folk Auxiliary, qui a de faux airs de comptine pour enfant, s’adresse tendrement à sa famille, dernier rempart contre un monde qui part en flammes. Benjamin Clementine s’interdit de faire un album grave, il est cependant né de la douleur vécue et de celle à venir et, ainsi, ne peut jamais vraiment être léger.
Une forme de paix intérieure
Plus que le contenu des paroles, ce sont alors les orchestrations et l’élasticité de la voix du chanteur qui donnent la couleur des émotions, se chargeant d’alléger ou de mettre en évidence la gravité du discours. Ce n’est pas un hasard si le moment le plus frappant de l’album sont les six minutes de Last Movement of Hope, composition tour à tour douce et angoissée, que Benjamin Clementine exécute seul au piano, sans paroles, glissant par la même occasion qu’il doit tant à Erik Satie.
Comment un album aussi riche peut sembler aussi simple? Benjamin Clementine l’assure, il ne nous a pas tout dit. Avec And I Have Been, il trouve une forme de paix intérieure, mais a d’ores et déjà promis de revenir en 2023 avec le second volet du diptyque commencé ici avec son meilleur album à ce jour, souhaitant clôturer de cette manière sa carrière musicale. Récemment apparu au cinéma dans le Dune de Denis Villeneuve, le musicien et poète ajoute une nouvelle corde à son arc et dit vouloir emprunter de nouveaux chemins. Pour ceux qui doutaient encore que Benjamin Clementine est un artiste total…
Benjamin Clementine, And I Have Been. Sorti le 28 octobre. Label Preserve Artists. Genre folk / avant-pop