Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album d’Africa Express, Africa Express Presents… Bahidorá, sorti le 11 juillet sur le Label World Circuit Limited.
Pour protester contre le manque de diversité du Live 8, le marathon de concerts caritatifs organisé par Bob Geldof à l’été 2005 dans les pays du G8 pour aider les pays les plus pauvres – mais qui ne comptaient presque aucun artiste africain dans la programmation– , Damon Albarn a fondé Africa Express. Vingt ans plus tard, avec le triomphe de Bad Bunny, BTS ou de la star indienne Arijit Sungh (l’artiste le plus suivi sur Spotify), le streaming et les réseaux sociaux ont radicalement changé la donne.
L’intention d’Africa Express, à la fois une ONG et un collectif musical, reste elle toujours aussi pertinente : construire des ponts entre des musiciens de tous horizons, leurs pays et leurs cultures, pour illustrer l’idée que la musique est un langage qui n’a pas besoin de frontières et que les humains sont plus forts quand ils sont unis.
Pour preuve, un premier album (Africa Express Presents…, 2009) qui réunissait, entre autres, Tony Allen, Rachid Taha, Amadou et Mariam ou Femi Kuti, une réinterprétation en 2014 de la pièce minimaliste de Terry Riley In C avec des musiciens du Mali ou encore un disque en 2016 avec l’Orchestre national de Syrie. Et, entre chaque, d’innombrables concerts, rejoints par à peu près tous les musiciens imaginables, de Paul McCartney à Matthieu Chedid, en passant par Robert Del Naja, Franz Ferdinand, Brian Eno, Fatboy Slim, Charli XCX…
Si le live, avec son lot de rencontres et d’improvisations, est la première raison d’être d’Africa Express, c’est encore ce qui a fait naître ce sixième album, Bahidorá, du nom du principal festival de musique du Mexique, où le collectif a joué pour la première fois en 2024. L’occasion, pour le leader de Blur et Gorillaz, de rassembler une cinquantaine de musiciens venus de quatre continents, pour un show de cinq heures qui s’est prolongé, les jours suivants, entre chambres d’hôtel, tentes de festival et grands espaces naturels comme autant de studios improvisés, par l’enregistrement de ce double album à l’énergie implacable.
Aux membres déjà bien installés du collectif – Fatoumata Diawara, le bassiste Seye Adelekan devenu depuis membre de Gorillaz, le guitariste des Yeah Yeah Yeahs Nick Zinner, le musicien ougandais Otim Alpha, Joan As Police Woman, Django Django… – s’ajoutent de nouvelles têtes, comme le groupe de jazz fusion londonien Onipa, et tout un «roster» d’artistes du cru, qui confèrent à ce nouvel opus son âme latine.
Un grand cirque sauvage et spirituel, un trip musical comme aucun autre
De la cumbia à la pop, en passant par le rap, le reggaeton et la soul, Bahiadorá a moins l’air d’une bibliothèque sonore à la saveur mexicaine que d’un grand cirque sauvage et spirituel, un trip musical comme aucun autre à ranger en haut de la pile des albums du moment estampillés «latin». Avec 21 titres, il y a de quoi largement se rassasier à toutes les heures du jour et de la nuit.
Et il ne faut pas se fier au petit bijou pop Soledad, au refrain chanté en espagnol par Damon Albarn, qui ouvre l’album : son ambiance languide, qui suggère un coucher de soleil, est vite enterrée par le «flow» de Bootie Brown (membre de The Pharcyde et rappeur du Clint Eastwood de Gorillaz) sur Otim Hop, et la cadence inarrêtable de la toujours géniale Moonchild Sanelly sur le dembow Tayhana, puis sur un Kuduro ardent qui, comme dans la majeure partie du premier disque, marie à merveille musiques africaines (avec un mantra répété par Fatoumata Diawara) et latino-américaines.
À quelques rares exceptions près – dont Dorhan Oullhin, douce pause qu’aurait pu chanter David Bowie sur le tard –, Bahiadorá invite à remuer tout son corps. À ce petit jeu, les Mexicains ayant rejoint la bande ne sont pas en reste, à commencer par le groupe de cumbia Son Rompe Pera (Defiant Ones et Chucha) et la fanfare La Bruja de Texcoco, tous deux garants d’ambiances aussi endiablées qu’infectieuses.
Ils sont les meilleures découvertes nichées au cœur du projet, avec la rappeuse Mare Advertencia (exceptionnelle sur le reggaeton Mi Lado) et la chanteuse trans Luisa Almaguer, à la voix qui ensorcelle et que l’on a, heureusement, la chance d’entendre souvent. Quant au Mexican Institute of Sound, l’autre tête pensante de l’album avec Damon Albarn, on trouve ses musiciens et son empreinte un peu partout – la plus folle reste cette reprise en espagnol de Panic des Smiths, en forme de ska absolument démoniaque. C’est toute la magie de la musique : militer ensemble, dans la joie et dans la danse, pour un monde meilleur.