Jiaoli a essuyé le feu des questions de la défense qui a tenté d’établir qu’elle n’a pas été forcée à remettre l’argent à Saïd, mais l’aurait fait par amour ou par intérêt.
Un paquet de mouchoirs bleu et blanc est posé sur la barre de la salle d’audience du tribunal. Jiaoli a beaucoup pleuré en ce huitième jour de procès. Elle a aussi beaucoup élevé la voix pour donner corps à ses propos. Elle tourne ostensiblement le dos à Saïd qu’elle refuse de croiser, ne serait-ce que du regard. Vendredi matin, la trentenaire, après avoir témoigné la veille, a dû répondre aux questions des magistrats et de la défense en quête de précisions pour tenter de mettre de l’ordre dans cette affaire complexe. Le tribunal navigue entre emprise, violences domestiques, escroqueries, montants à géométrie variable et factures disparues au point de parfois se perdre.
La victime présumée est tombée sous le charme de Saïd, un jeune homme moins charmant qu’il n’y paraît, selon elle. Il lui aurait vendu du rêve et fait vivre un enfer avant de la dépouiller. Une situation difficile à comprendre tant elle semble invraisemblable par l’énormité des témoignages qui accablent le prévenu. Saïd nie et sa défense remet en cause les accusations de la jeune femme, ancienne propriétaire de restaurants asiatiques.
Un virement de 17 000 euros
Pour tester la crédibilité de cette dernière, Me Brian Hellinckx, l’avocat du prévenu, produit la copie d’un virement de 17 000 euros correspondant à un prêt effectué par Saïd à Madame Li, une amie et collaboratrice de la victime présumée, «pour payer l’avocat de son frère qui était détenu en Chine». Jiaoli avait, quant à elle, dit avoir prêté 60 000 euros à son amie pour «soigner son frère qui était gravement malade en Chine», rappelle l’avocat. «Je ne suis pas au courant», indique la jeune femme qui tombe des nues comme toute la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «Ce serait bien la première fois que le prévenu prête de l’argent à quelqu’un dans ce dossier», ironise la présidente avant de charger l’enquêteur de la police judiciaire d’entendre Madame Li sur ce point.
Cela ne change rien aux infractions reprochées au prévenu, mais ce prêt peut paraître étonnant étant donné que Madame Li avait témoigné à la barre la semaine passée avoir une peur bleue du prévenu comme tout l’entourage de Jiaoli. L’avocat de la défense veut essayer de démontrer que la victime présumée n’aurait pas versé d’argent sous la contrainte ou par peur à son client, mais en toute connaissance de cause et que tout le reste ne serait que machination pour récupérer cet argent.
Il continue en produisant des photographies de la jeune femme souriante en présence du prévenu ou des messages dans lesquels elle lui clame son amour, en s’étonnant qu’elle ne soit pas allée faire constater ses blessures chez le médecin ou qu’elle ne les ait pas photographiées, ainsi qu’en reprenant le témoignage de la réceptionniste de l’hôtel dans lequel le couple a passé sa dernière nuit ensemble qui affirme que Jiaoli aurait insisté pour avoir un lit double. «C’est le schéma des violences domestiques», lui rétorque la présidente sèchement.
Plus de factures ou de quittances
Jiaoli prétend avoir remis entre 650 000 et 700 000 euros à Saïd, souvent en liquide pour éviter les coups. Sans compter les 500 000 euros pour les travaux de rénovation de son immeuble de Junglinster. «J’ai signé le contrat et je dois l’honorer même si les travaux ont été mal faits», note la jeune femme. «La valeur des travaux réalisés correspond à 280 000 euros, selon un expert», note la présidente. «Et il vous faudrait débourser 240 000 euros pour redresser les malfaçons.» Des sommes énormes dont ne dispose plus la victime présumée qui prétend que Saïd lui a tout pris. Sans factures, quittances ou autres documents attestant des versements, c’est la parole de la jeune femme contre celle du prévenu dont le bureau a été mystérieusement vidé après son arrestation en mai 2019.
« Il m’a dit qu’il allait creuser le trou où il allait me mettre »
«C’est facile de se faire arnaquer par des personnes pas très honnêtes quand on paye tout en liquide sans demander de quittance», lance la magistrate en direction de Jiaoli qui dit «avoir honte» et revient sans cesse sur le calvaire et les menaces que Saïd lui aurait fait vivre. «Si votre histoire correspond à la vérité, il ne pouvait pas vous tuer sans perdre sa source de revenus», lui répond la présidente. «Un soir, il m’a conduit dans une forêt et il m’a dit qu’il allait creuser le trou où il allait me mettre», témoigne la jeune femme avant de raconter les rapports sexuels forcés que le prévenu lui aurait fait subir à plusieurs reprises sur la piste de quilles du restaurant de Junglinster. «Aucune infraction de ce genre n’a été retenue à son encontre», la freine la magistrate.
La victime présumée se débat, dit-elle, «pour qu’il n’y ait pas de prochaine victime» de Saïd. La partie adverse semble arguer que celle qui veut devenir pasteur tient surtout à récupérer coûte que coûte son argent, quitte à forcer le trait et à faire des petits arrangements avec la vérité. Le procès reprendra mercredi après-midi. Trois audiences supplémentaires ont été ajoutées au calendrier.