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Affaire RTL/Nickts : «Ce n’est ni plus ni moins qu’une censure»


«On a combattu pendant des décennies pour la liberté de la presse et elle est attaquée de tous les côtés», lâche Me Pol Urbany. (Photo : Didier Sylvestre)

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de RTL, condamné à ne plus diffuser le nom ni l’image de Jos Nickts, ancien président du syndicat des facteurs, auteur d’un vaste détournement de fonds.

«Je suis encore sous le choc, je ne trouve pas les mots…», lâche Pol Urbany, l’avocat de la CLT-UFA, maison mère de RTL, après l’arrêt de la Cour de cassation qui a définitivement interdit à la chaîne de mentionner le nom de Jos Nickts en évoquant son affaire pénale vieille de plus de 20 ans.

L’ancien président de la Fédération syndicaliste des facteurs et des travailleurs des P&T Luxembourg (FSFL) avait été condamné en 2007 à six ans de prison pour abus de confiance, faux et usage de faux, pour des faits remontant aux années 90. Son procès en première instance avait monopolisé de nombreuses audiences pour faire toute la lumière sur un vaste détournement de quelque 560 millions de francs luxembourgeois (14 millions d’euros) provenant d’un fonds d’investissement du syndicat pour son enrichissement personnel. Yachts, voitures de sport et finca en Espagne faisaient partie de l’inventaire.

L’affaire avait suffisamment tenu en haleine tout le pays pour être qualifiée d’historique. En voulant précisément revenir sur cette affaire dans le cadre d’un reportage, RTL s’est vu intimer l’ordre, dans un premier jugement de décembre 2022, de ne plus diffuser ni le nom ni l’image du principal et seul intéressé de cette affaire, sous peine d’une astreinte de 7 000 euros par infraction. Cette décision avait été confirmée en appel et, hier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de nos confrères.

La Cour de cassation retient que le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ne sont pas absolus et se prêtent chacun à des limitations qui doivent être appliquées selon une logique juridique établie par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ce cadre, elle retient qu’aucun de ces droits ne doit d’office l’emporter sur l’autre, mais que lorsqu’ils se trouvent en concurrence, ils doivent faire l’objet d’une mise en balance à travers un processus lui aussi développé par la Cour européenne des droits de l’homme.

«Il ne s’agit aucunement de vie privée dans ce contexte ! Jos Nickts était un personnage public, président d’un syndicat, et même s’il est aujourd’hui retraité, RTL ne s’intéresse pas à sa vie privée, mais revient sur des faits historiques. Cet arrêt va à l’encontre de la liberté d’expression dans les médias et ce n’est ni plus ni moins qu’une censure. Ça veut dire que chaque homme public qui, à un certain moment donné, se met en retrait peut interdire à ce que son nom soit cité en relation avec l’histoire contemporaine», peste Me Pol Urbany.

L’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) considère dans un communiqué que cet arrêt est «une gifle à la liberté de la presse» et constitue «un dangereux précédent». Cette décision signifie que la nomination de personnes publiques, définitivement condamnées pour des délits économiques graves, peut également être interdite, même lorsqu’il s’agit d’une affaire historiquement importante. «Cela rend impossible pour les journalistes et pour le public de parler de chapitres importants de l’histoire nationale», juge l’ALJP en ajoutant qu’une «justice qui anonymise rétrospectivement des faits rend impossible pour la presse d’accomplir sa mission : informer dans l’intérêt du public».

Direction Strasbourg

La Cour de cassation conclut pour sa part que la Cour d’appel, en adoptant une mesure d’interdiction limitée à la diffusion des nom, prénom et image de Jos Nickts, sans faire interdiction à la CLT-UFA de diffuser des informations sur les faits de l’époque tenant à sa vie publique, a établi un juste équilibre entre le droit à la protection de la vie privée actuelle de ce dernier et le droit à la liberté d’expression et d’information de la CLT-UFA.

«Dans ce cas précis, avant même qu’il y ait publication de quoi que ce soit, avant qu’on ne connaisse le contexte dans lequel la publication intervient, elle est d’office interdite. C’est de la censure. Ce qui vaut pour Jos Nickts aujourd’hui va valoir pour tout homme public qui décide d’aller quelque part en retraite et qui, après un certain nombre d’années, vient demander à être rayé sur tous les sites, dans tous les médias. C’est fou, c’est incompréhensible, je suis complètement abasourdi», témoigne encore Me Urbany.

«On a combattu pendant des décennies pour la liberté de la presse et elle est attaquée de tous les côtés, avec des procès bâillons et maintenant un procès comme celui-là. On est en train d’anéantir tout ce qu’on a construit», conclut amèrement l’avocat.

L’affaire ne s’arrête pas là, MUrbany annonce qu’elle sera portée devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. L’ALJP constate que «ce n’est malheureusement pas la première fois que des tribunaux luxembourgeois considèrent le principe de la liberté de la presse comme secondaire. L’ALJP espère par conséquent que cette décision, comme cela a déjà été le cas par le passé, sera examinée et annulée par les juridictions européennes».

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