La peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle a été requise ce lundi 25 novembre contre Dominique Pelicot, un septuagénaire ayant, pendant une décennie, drogué, violé puis fait violer sa femme par des dizaines d’hommes recrutés sur internet dans le sud-est de la France.
Après onze semaines d’audiences, ce procès au retentissement international entre dans sa dernière ligne droite.
À l’ouverture du réquisitoire devant la cour criminelle de Vaucluse, l’avocat général Jean-François Mayet a souligné que le cœur de ce procès était « la domination masculine sur les femmes » et que son enjeu était de « changer fondamentalement les rapports entre hommes et femmes ».
Devant les magistrats professionnels composant la cour, le ministère public a débuté son réquisitoire par le « chef d’orchestre » de cette décennie de viols, Dominique Pelicot, demandant 20 ans de réclusion, soit la peine maximale encourue.
« C’est à la fois beaucoup et trop peu. Trop peu au regard de la gravité des faits qui ont été commis et répétés », a insisté la deuxième représentante de l’accusation, Laure Chabaud, en soulignant que sa responsabilité est « pleine et entière ».
Pelicot est le dénominateur commun des 50 coaccusés recrutés sur internet à qui il avait livré sa désormais ex-épouse, préalablement sédatée aux anxiolytiques, à leur domicile de Mazan entre juillet 2011 et octobre 2020.
Dominique Pelicot n’a jamais caché sa responsabilité, se qualifiant lui-même de « violeur ». « Je suis coupable de ce que j’ai fait (…) J’ai tout gâché, j’ai tout perdu. Je dois payer », affirmait-il en septembre.
« Avilissement »
« La recherche de son plaisir se retrouve dans une volonté de soumission de son épouse, d’humiliation, voire d’avilissement par ses gestes, ses paroles, de la personne qu’il chérit le plus au monde », a accusé la procureure adjointe.
Coupant l’herbe sous le pied d’arguments parfois avancés par certains avocats de la défense depuis le début du procès le 2 septembre, elle a également assuré qu’il n’était « pas envisageable que Gisèle Pelicot ait pu volontairement ingérer ces anxiolytiques ».
Mayet a salué le « courage » et la « dignité » de Gisèle Pelicot, victime de quelque 200 viols, dont la moitié attribués à son ex-mari. « C’est beaucoup d’émotion », avait lâché Pelicot en entrant dans la salle.
Hasard du calendrier, ce réquisitoire débute à l’occasion de la journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes. « C’est un symbole de plus », a estimé Me Antoine Camus, l’un des avocats des parties civiles.
Gisèle Pelicot, 71 ans, a accédé au statut d’icône féministe après avoir refusé que le procès se déroule à huis clos, « pour que la honte change de camp ».
La plupart des autres accusés sont également poursuivis pour viols aggravés et risquent 20 ans de prison.
Mais l’individualisation des peines est obligatoire. Par exemple pour distinguer les récidivistes – dix hommes sont venus plusieurs fois – de ceux venus une seule fois à Mazan.
Ces hommes âgés de 26 à 74 ans pouvaient-ils légitimement croire qu’ils participaient au scénario d’un couple libertin, où l’épouse ferait semblant de dormir ? Ont-ils été « manipulés » par Dominique Pelicot ? Ou leur discernement était-il altéré au moment des faits, comme l’ont encore suggéré les avocats de 33 d’entre eux mercredi ?
Enfin, le parquet aura-t-il la main plus lourde envers les 35 accusés qui, à l’ouverture du procès, ont encore fermement nié avoir participé à un « viol », en dépit des vidéos accablantes filmées par Dominique Pelicot?
« Nuance »
La demande des collectifs féministes, qui ont apposé une banderole dimanche soir en face du tribunal, est très claire : « 20 ans pour chacun ».
« Il faut de la nuance dans les peines. Ça, on ne peut le comprendre qu’en suivant le procès », a estimé de son côté lundi Brigitte Jossien, une retraitée de 74 ans qui a suivi la quasi-totalité des audiences avec son amie Bernadette Teyssonnière, 69 ans.
Les deux femmes ne croient pas que ce procès apportera des changements dans la société: « C’est l’éducation sexuelle dans les écoles qui changera les choses » et aussi « des modules en fac de médecine pour que les futurs médecins soient plus attentifs à la soumission chimique », juge Bernadette.
Couvert en quasi-mondovision, avec 138 médias accrédités dont 57 étrangers, ce procès a un écho bien au-delà des frontières françaises. Comme en a encore témoigné jeudi la présidente de la chambre des députés chilienne, Karol Cariola, saluant « le courage et la dignité » de Gisèle Pelicot, « une citoyenne ordinaire qui a donné une leçon au monde entier ».
Et ce weekend, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans toute la France pour réclamer un « sursaut » contre les violences faites aux femmes, beaucoup faisant référence à ce procès hors norme.
Dans la foulée, lundi matin, le gouvernement a annoncé l’extension du dispositif permettant aux femmes victimes de violences sexuelles de déposer plainte dans un hôpital doté d’un service d’urgences ou gynécologique.
À Avignon, le réquisitoire est prévu sur trois jours, selon le planning officiel. Mais selon les informations recueillies auprès des différentes parties, il pourrait s’achever mercredi en fin de matinée.
Après le cas Pelicot, l’accusation devrait avancer crescendo avec d’abord les dossiers moins lourds, ceux de Joseph C., 69 ans, et Hugues M., 39 ans, respectivement accusés d’agression sexuelle et de tentative de viol.
Après le réquisitoire, la parole sera à la défense jusqu’au 13 décembre. Le verdict est attendu le 20 décembre au plus tard.