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Affaire Lunghi : «La machine RTL était lancée»


«Le reportage présente un Enrico Lunghi qui s’emporte, mais l’action est tirée de son contexte», a fait remarquer le président de la chambre correctionnelle à Marc Thoma, qui a dit assumer son montage.

Les cordonniers sont les plus mal chaussés, dit l’adage. Le manque d’informations et les non-dits au sein de RTL semblent avoir mené à la diffusion du reportage et à l’affaire Lunghi.

Au vu des informations dont je disposais, l’incident ne me paraissait pas assez important pour en faire grand cas et en parler à l’antenne. Cela ne correspondait pas à notre façon de travailler et il était de ma responsabilité de directeur des programmes et de la télévision de protéger aussi RTL», a expliqué Steve Schmit hier après-midi. L’affaire dite Lunghi éclaboussera pourtant le groupe et a amené certains de ses principaux responsables face aux juges. À la base de l’affaire, une interview qui tourne mal entre une journaliste et l’ancien directeur du musée d’art moderne de Luxembourg, ainsi que des non-dits qui ont laissé place à des théories de possibles règlements de compte entre les différents protagonistes.

La première mouture du reportage n’est pas diffusée. Steve Schmit s’y est opposé après avoir consulté ses collègues Alain Rousseau et Caroline Mart. Une semaine plus tard, la journaliste Sophie Schram apparaît le bras bandé avec un certificat médical. «Les faits avaient changé», note Steve Schmit. Décision est prise de diffuser un reportage faisant état de l’incident si Sophie Schram porte plainte à l’encontre d’Enrico Lunghi. «Dans ce cas de figure, nous devions montrer les images avant que les autres médias ne s’emparent de l’affaire.» Elles seront diffusées le 3 octobre 2016. «J’ai découvert le reportage à 17 h, juste avant sa diffusion. J’ai contacté Marc Thoma qui m’a annoncé que Sophie Schram avait porté plainte», poursuit Steve Schmit pour qui il n’avait jamais été question de sa diffusion ce jour-là. «Je me suis senti écarté.»

«Je ne pouvais plus rien arrêter»

Le deuxième reportage monté par Marc Thoma ne plaît pas au prévenu, mais «je ne pouvais plus rien arrêter». «Internet et la radio avaient déjà été informés de sa diffusion. Par qui, je ne sais pas. La grande machine RTL était lancée.» Quelques jours plus tard, Alain Berwick, alors CEO du groupe, lui aurait expliqué que «Sophie Schram n’a jamais déposé plainte étant donné que le groupe était en négociations avec Enrico Lunghi pour qu’il présente ses excuses en échange de quoi il n’y aurait pas de dépôt de plainte». Steve Schmit se serait senti «trompé» et «impuissant». «Mis hors-jeu», comme l’avait suggéré la journaliste Caroline Mart lors de son passage à la barre d’une salle 1.07 bondée d’anciens collaborateurs du groupe.

«On a menti aux téléspectateurs», a été la réaction d’Alain Rousseau, ancien rédacteur en chef du journal et de Steve Schmit après la diffusion du reportage dont le contenu présente des faits tronqués. «Il présente un Enrico Lunghi qui s’emporte, mais l’action est tirée de son contexte», a fait remarquer le président de la chambre correctionnelle à Marc Thoma, qui a dit assumer son montage et avoir «reflété la réalité des faits». Il reproche également au journaliste qui a été pendant 20 ans à la tête de l’émission Den Nol op de Kapp d’avoir cherché «à dramatiser la situation pour sortir un reportage croustillant» et va même plus loin en lui demandant si «Sophie Schram ne serait-elle pas allée consulter un médecin pour donner plus de crédit à votre sujet? On peut avoir l’impression que vous voulez donner une mauvaise image d’Enrico Lunghi.» Dans quel but ?

Le président n’a pas lâché le prévenu, fait les questions et les réponses, bille en tête. «Que vous êtes-vous imaginé?», poursuit-il avant de critiquer le choix du sujet en long, en large et en travers. Marc Thoma évoque un choix journalistique. Sa collaboratrice avait eu maille à partir avec son interlocuteur et il fallait la protéger. «On a l’impression qu’il s’emporte à la première question posée et vous ne montrez pas que l’interview a repris plus sereinement après et qu’Enrico Lunghi s’est excusé en off», lui reproche le juge.

Tout le monde dit avoir voulu protéger la journaliste. Alain Berwick y compris, qui a évoqué MeToo, sa responsabilité envers son employée et le groupe et a juré «ne pas avoir voulu faire de sale coup à Enrico Lunghi». Il aurait, lui aussi, réagi en fonction des informations dont il disposait. Mais, accuse-t-il avant que l’audience ne se termine, «on a voulu me cacher des choses». On en saura peut-être plus ce matin quant aux responsabilités des uns et des autres.