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Affaire du sèche-cheveux : l’apprenti coiffeur a-t-il prémédité son acte ?


La juge enfonce le clou : «On est en droit de se demander si c’était aussi terrible que vous le prétendiez et (…) si ce n’était pas un peu plus planifié.»

Isolé, Jeff a tué sa «seule amie». La juge a tenté mercredi d’établir des indices d’une éventuelle préméditation et de comprendre pourquoi il s’est armé d’un câble de sèche-cheveux.

Le corps sans vie d’Eliane gisait sous un tas de couvertures et de vêtements dans la chambre de son appartement de Bonnevoie. Jeff l’y avait abandonnée après l’avoir étranglée avec le câble d’un sèche-cheveux et poignardée dans le cœur. Immédiatement après la commission, le jeune homme de 36 ans avait avoué les faits à son père qui avait prévenu la police. Le prévenu avait au préalable demandé à son père de l’aider à se débarrasser du corps et menacé de se planter un couteau dans le ventre s’il ne lui sauvait pas la mise.

Jeff et sa victime entretenaient une amitié teintée de masochisme, selon un expert entendu mardi. Le jeune homme, en quête de reconnaissance, s’occupait d’elle malgré ses sautes d’humeur dues à son alcoolisme ou les humiliations. «À chaque fois qu’elle s’excusait, il lui pardonnait, oubliait et passait à autre chose», rapporte un enquêteur. Et cela recommençait de plus belle.

Jusqu’à la nuit du 12 mai 2023. Une énième dispute a eu raison de la patience du prévenu. La victime avait fumé du crack avec sa fille et son beau-fils. L’enquêteur raconte à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg qu’elle se serait comportée comme «une furie» et que Jeff ne serait pas parvenu à la calmer. Jeff aurait voulu quitter les lieux, mais la victime l’en aurait empêché en verrouillant la porte de l’appartement et en cachant la clé dans sa culotte. Jeff précise : «Elle y cachait toujours tout.»

Impuissant face aux coups et aux insultes, il est allé se saisir du sèche-cheveux dans la salle de bains et a menacé Eliane qui venait de prendre deux anxiolytiques avec une lampée de vodka. Jeff a enroulé le câble deux fois autour de son cou et a tiré jusqu’à ce que de la mousse s’échappe de sa bouche. Il a alors constaté que sa victime n’avait plus de pouls et s’est emparé du couteau qui traînait au salon «sans me poser de question». Le coup de couteau a été fatal à la sexagénaire.

«Je voulais qu’elle se calme»

Apprenti coiffeur, Jeff a perdu pied au décès de sa maman en 2021. Le jeune homme décline doucement. Il tombe en dépression, perd ses emplois, refuse finalement d’aller travailler et commence à consommer de l’alcool et des médicaments. Ses proches voient sa relation avec la victime d’un mauvais œil, ne la considérant pas comme une personne recommandable. Ils s’étaient rencontrés en 2005 par le biais d’une des filles d’Eliane. L’enquête révèle que Jeff la considérait comme une maman de substitution. Une maman qui allait mal depuis son divorce et était tombée dans la déchéance. Une maman qui n’était plus parfaite.

Pourquoi être resté à ses côtés aussi longtemps? Pourquoi ne pas avoir mis fin plus tôt à la relation? La présidente cherche à comprendre. «Elle me faisait pitié et elle me promettait des choses, de l’argent… et ne s’y tenait pas», a expliqué posément le prévenu mercredi. «Quand je me disputais avec mon père, j’allais vivre chez elle. Je n’avais personne d’autre.» «On a appris mercredi qu’étant donné votre léger retard mental, il vous est difficile de vous projeter dans l’avenir et que vous vivez au jour le jour», précise la juge. Jeff s’est accroché coûte que coûte, aussi incompréhensible que cela puisse paraître. «Sa fille et elle étaient mes seules amies.»

«Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser le sèche-cheveux ce soir-là? Vous deviez y avoir pensé avant?», interroge la présidente qui tente d’établir une éventuelle préméditation de sa part. Jeff se tourne vers son avocat, Me Baulisch, avant de répondre : «Je n’en pouvais plus. J’ai pété un câble. Elle a lancé une bouteille de vodka sur le dos du chat. Je l’ai attrapée. Je voulais qu’elle se calme.» «Elle l’était après l’étranglement. Pourquoi lui avoir donné un coup de couteau?» La présidente progresse pas à pas. «Vous auriez pu en profiter pour lui prendre les clés et partir.» Jeff n’a pas de réponse. Non plus pour expliquer pourquoi, après l’acte, il a pris le smartphone de sa victime ainsi que sa carte de crédit et le sèche-cheveux. «Vous avez donc dû réfléchir logiquement», constate la présidente.

La représentante du parquet a pris le relais. «Quand je pense à un sèche-cheveux, je pense à une baignoire. J’ai du mal à comprendre pourquoi vous l’avez choisi plutôt que le couteau qui était à portée de main.» «Le câble était long», rétorque Jeff laconiquement. «Les voisins ont témoigné que cette nuit-là était calme alors qu’ils se plaignaient souvent du bruit et prévenaient souvent la police», poursuit la magistrate. «Ils n’ont pas dû entendre.» La juge enfonce le clou : «On est en droit de se demander si c’était aussi terrible que vous le prétendiez et (…) si ce n’était pas un peu plus planifié.»