Basé dans le village d’Useldange, le Centre thérapeutique (CTU) accompagne les personnes dépendantes aux drogues et à l’alcool.
Dans les allées des espaces verts du Centre thérapeutique d’Useldange, le silence règne. Quelques résidents en quête d’air frais s’y promènent calmement. Ce matin-là, l’établissement semble désert. La raison ? Tous les patients assistent dans une salle dédiée et isolée à leur groupe de parole. Là, ils peuvent exprimer librement toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Et cela, avec des professionnels de santé spécialisés. Car ici, on ne vient pas pour essayer d’arrêter de boire, mais pour suivre une thérapie complète basée sur le bien-être physique, psychologique et social.
À Useldange, les 35 résidents de l’établissement sont tous accompagnés pour des problèmes d’addiction : aux médicaments, au cannabis et en premier lieu à l’alcool. «C’est la dépendance que nous rencontrons le plus. Parfois, deux ou même les trois sont mêlées», indique Claude Besenius, chargée de direction du CTU. Et pour pouvoir venir au centre thérapeutique, les patients ont obligatoirement terminé un sevrage, réalisé la plupart du temps dans un hôpital du pays. «Ils doivent être stables au niveau tant physique que psychique», précise la directrice de l’établissement. La thérapie dure entre trois à six mois maximum.
«Les deux premières semaines, ils ont un programme de base. Ils participent aux différents groupes et thérapies. Puis, à partir de la troisième semaine, on voit avec eux les objectifs et projets qu’ils souhaitent mener», détaille Claude Besenius. Tout au long de leur thérapie, les résidents seront suivis par une équipe multidisciplinaire composée notamment de professionnels de la santé mentale, comme des musicothérapeutes ou encore des thérapeutes du sport.
Les femmes osent moins demander de l’aide
Pendant leur séjour à Useldange, les résidents participent également à des activités en groupe et d’échange dans le but de développer leur confiance en eux et leur créativité. «Régulièrement, nous faisons des activités manuelles. Cela peut être de la poterie, de la peinture ou l’entretien de notre jardin. Derrière tout cela, l’objectif est de montrer aux résidents comment ils peuvent occuper leur temps libre et leur esprit pour ne pas penser à l’addiction», explique la directrice.
Un suivi qui se poursuit après leur passage au CTU, car le risque de rechute est important. «Certains arrivent à se libérer de leur addiction en une seule fois, mais d’autres non. Ils reviennent parfois deux ou trois fois. Mais cela peut également s’étaler sur plusieurs années. Il faut dire que le cerveau n’oublie pas l’addiction et c’est très difficile de s’en délivrer totalement», reconnaît Claude Besenius.
Recrudescence des demandes depuis 2020
Pour poser le diagnostic de l’addiction à l’alcool, chaque patient arrivant au centre doit répondre à une série de critères. «Il y en a six et il faut en remplir trois. Parmi eux, il y a le besoin intense de vouloir boire, la perte de contrôle, le développement d’une tolérance à l’alcool ou encore les symptômes de manque», liste Claude Besenius. Traumatismes, stress intense, problèmes familiaux ou professionnels sont souvent à l’origine de cette addiction.
Beaucoup de personnes abstinentes ont rechuté pendant la crise sanitaire
Une dépendance qui, pour la chargée de direction du CTU, peut toucher «tout le monde» même si des différences entre les individus peuvent exister. «Ici, au centre, on voit quand même des différences entre les hommes et les femmes. Ces dernières sont moins présentes dans les thérapies stationnaires. Peut-être qu’elles osent moins demander de l’aide parce qu’elles ont sans doute plus de responsabilités à la maison et ne peuvent pas laisser leurs enfants pendant plusieurs mois», observe-t-elle.
Depuis un certain temps, les patients sont aussi de plus en plus nombreux. «Il y a toujours eu des phases où il y avait plus au moins de monde. Mais je dirais que depuis fin 2020, nous avons plus de demandes. Nous avons même une liste d’attente assez importante», note Claude Besenius. Une situation qu’elle lie directement à la crise sanitaire et aux différents confinements. «Pendant cette période, il y a eu beaucoup de jeux liés à l’alcool. On peut prendre l’exemple des apéritifs en visioconférence. Je pense aussi que beaucoup de personnes abstinentes ont rechuté à ce moment-là.»
Et quid des jeunes ? «Nous pouvons accueillir des personnes à partir de 18 ans, mais c’est assez rare d’en avoir. Nous avons en général plutôt des personnes autour de la quarantaine ou de la cinquantaine», confirme la directrice du CTU. Pour autant, la jeune génération reste sensible à ces problématiques. «Au Luxembourg, on retrouve beaucoup le phénomène de »binge drinking » (NDLR : alcoolisation ponctuelle importante). Après, il est difficile de savoir si cela peut engendrer une addiction ou non.»
Mise en danger de l’entourage, violences familiales ou conjugales, risque d’accidents routiers… Pour Claude Besenius, les conséquences d’une addiction à l’alcool sont multiples et dévastatrices. «C’est un vrai problème pour toute la société. Notre idée n’est pas de dire que nous devons tous être abstinents, mais de contrôler, oui, sa consommation.» Pour elle, cela peut se matérialiser à travers certains défis, comme celui du «Sober Buddy Challenge», le challenge du mois sans alcool, organisé en février au Luxembourg.
Les Luxembourgeois consomment-ils plus d’alcool que leurs voisins européens ? Selon un rapport d’Eurostat, en 2019, le Grand-Duché figurait en troisième position des pays ayant un taux de consommation excessive d’alcool en Europe. Ainsi, 34,3 % des habitants ont notamment indiqué boire de manière importante au moins une fois par mois.
De plus, une étude intitulée «European Health Interview Survey» publiée en 2019 par la direction de la Santé et le Luxembourg Institute of Health précise que 43 % de la population de plus de 15 ans consomme de manière hebdomadaire de l’alcool. Près de 9 % des résidents en consomment au quotidien. D’après un rapport du Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) en 2022, près de la moitié des jeunes âgés entre 11 et 18 ans (soit 42,7 %) ont déjà consommé de l’alcool au cours de leur vie.
D’une manière plus globale, selon l’OMS, en 2019, l’Europe est la région du monde représentant le plus haut niveau de consommation d’alcool par habitant : 8,4 % de la population de l’Union européenne indique boire tous les jours de l’alcool. Cette dernière engendre chaque année environ 1 million de décès.
Deuxième cause des accidents de la route
Au Grand-Duché, l’alcool au volant est la deuxième cause des accidents routiers. En 2022, 15 accidents mortels et 36 blessés graves ont été directement liés à la conduite sous alcool. Des chiffres qui révèlent aussi certaines pratiques présentes dans le pays. «Chez les jeunes, on voit beaucoup les phénomènes de jeux d’alcool où la consommation doit être excessive.
Et aussi le fait de conduire en ayant bu. C’est quelque chose que l’on ne voit pas du tout dans certains pays, mais ici, oui. Aujourd’hui, il y a beaucoup de programmes éducatifs dans les écoles sur ces questions. Le rapport à l’alcool, que ce soit au Luxembourg ou ailleurs, reste toujours compliqué», explique Claude Besenius, chargée de direction au CTU.