L’accord du Luxembourg sur le traité de libre-échange avec le Mercosur fait l’objet de nombreuses critiques aussi bien du secteur de l’agriculture que des associations environnementales.
Le Luxembourg a besoin de débouchés à l’exportation pour son économie, surtout à un moment où de nouvelles barrières se dressent dans certaines régions du monde.» Dans son discours sur l’état de la Nation, le 13 mai dernier, le Premier ministre, Luc Frieden, a annoncé que le Grand-Duché, après plusieurs hésitations, allait bien donner son accord au traité de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur.
Le chef du gouvernement a toutefois précisé que la version finale du texte donnerait «davantage d’assurances que notre marché ne sera pas inondé et que nos standards sanitaires et environnementaux dans la santé et l’environnement ne seront pas sapés».
L’annonce n’a pas spécialement étonné le milieu agricole. «Nous avons remarqué que le Premier ministre était plus favorable au traité que la ministre de l’Agriculture», affirme Christian Wester, président de la Centrale paysanne. S’il reconnaît la nécessité de partenariats forts pour le secteur, il regrette que les inquiétudes de son organisation n’aient pas été mieux prises en compte par le gouvernement.
Qu’est-ce que le Mercosur ?
Créé en 1991, le Mercosur, pour Mercado Comun del Sur (Marché commun du Sud), est une zone de libre-échange d’Amérique du Sud qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie (qui y a adhéré en 2024). On y trouve également des pays associés : le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Pérou et le Suriname.
Cette zone permet à ses membres d’établir une politique commerciale commune et de se coordonner pour harmoniser certaines de leurs législations. À l’image de ce qui se fait dans l’Union européenne, certaines pratiques tentent d’être mises en place comme la suppression des frais téléphoniques supplémentaires quand un ressortissant voyage dans un autre pays de la zone. Le Mercosur a aussi favorisé la négociation de plusieurs traités avec d’autres pays extérieurs à cette communauté économique comme l’Inde, Israël, la Namibie ou encore le Botswana.
Luc Frieden a pourtant rencontré tous les acteurs en décembre dernier, peu de temps avant que le traité ne soit validé. Selon la Centrale paysanne, des risques «considérables» pèsent notamment sur la filière bovine. «Les pays du Mercosur sont les leaders mondiaux de la production de viande bovine», rappelle Christian Wester.
Et ce ne sont pas les garanties apportées par le Premier ministre qui vont rassurer les agriculteurs, d’autant que les contours de l’accord restent flous pour le moment. «Les annonces et paroles bienveillantes ne suffisent plus.» La fameuse réserve d’un milliard d’euros en cas d’effets négatifs du traité sur l’agriculture européenne pose elle aussi de nombreuses questions.
«Il est peu probable que l’Europe trouve les moyens financiers et il ne faudrait pas que ce soit prélevé sur la PAC», prévient Christian Wester, peu convaincu que l’Union européenne débloque réellement cette somme. «La présidente de la Commission européenne peut dire ce qu’elle veut.»
Concurrence déloyale
Même son de cloche à la Baueren-Allianz, qui rappelle que le système luxembourgeois est basé sur des critères de sécurité alimentaire et de qualité. Des normes qui doivent être impérativement respectées de l’autre côté de l’Atlantique. «Nous avons besoin de relations commerciales fondées sur la solidarité, la démocratie, la transparence, la justice et la durabilité», précise le président de la Baueren-Allianz, Marco Koeune.
Si d’après Luc Frieden, la dernière version de l’accord offre une meilleure protection aux producteurs nationaux, ces derniers craignent toujours un risque de concurrence déloyale des pays du Mercosur. «Un tel accord de libre-échange ne doit pas se faire unilatéralement au détriment de notre agriculture. Nous exigeons des normes égales en matière de production, de bien-être animal, d’exigences environnementales et climatiques.»
Le futur traité n’inquiète pas seulement les agriculteurs et les éleveurs, les associations environnementales émettent elles aussi de sérieux doutes. «Il ne bénéficiera qu’aux grandes entreprises, au détriment de la protection de l’environnement, du climat, des consommateurs et consommatrices, ainsi qu’au monde paysan», assure Martina Holbach, chargée de campagne au sein de Greenpeace Luxembourg qui dénonce un simple greenwashing.
Le manque de sanctions en cas de violations des normes interroge l’ONG qui craint de voir les problèmes écologiques et sociaux s’aggraver en Amérique latine. «De plus, l’accord ne garantit pas des conditions de concurrence équitables en matière de bien-être animal, d’environnement et de santé. Il entraînera des reculs importants dans la lutte contre la déforestation et ne contient aucune solution pour les agriculteurs, en particulier les petites exploitations.»
L’accord peut-il encore échouer ?
Si après plus de 20 ans de négociations, le traité UE-Mercosur est enfin finalisé, son entrée en vigueur pourrait encore prendre du temps. En tant qu’accord mixte, c’est-à-dire couvrant à la fois des compétences exclusives à l’Union européenne comme le commerce et des compétences nationales comme l’environnement, il doit être ratifié par le Conseil de l’UE et le Parlement européen, puis par l’ensemble des Parlements des 27 États membres. La France, qui s’oppose depuis longtemps au traité, pourrait alors bloquer l’ensemble du processus.
Pour éviter ça, la Commission européenne pourrait être tentée de séparer l’accord en deux, comme elle l’a fait pour le CETA, et séparer le volet commercial du reste. Sous compétence exclusive de l’UE, celui-ci pourrait alors être ratifié à la majorité qualifiée (au moins 15 pays représentant 65 % de la population européenne), empêchant Paris d’y mettre son veto. La France devrait alors trouver plusieurs alliés pour réunir une minorité de blocage. Et si plusieurs pays comme la Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Irlande émettent des réserves sur l’accord, la France manque pour le moment de soutiens pour s’opposer à la ratification.
Que prévoit l’accord de libre-échange ?
Destiné à faciliter les échanges entre l’Union européenne et les pays du Mercosur le traité commercial a été signé le 6 décembre dernier. S’il devait finalement entrer en vigueur, il permettrait de supprimer plus de 90 % des droits de douane entre les deux zones. Des mécanismes de sauvegarde autoriseraient tout de même les deux parties à limiter temporairement les importations si celles-ci devaient porter un préjudice grave à leur économie. Au-delà de l’aspect commercial, d’autres dispositions sont prévues comme l’ouverture de certains marchés publics aux entreprises des deux zones.
Mais pour de nombreux secteurs, comme l’agriculture, ce traité pourrait favoriser une concurrence déloyale en important dans l’UE des produits qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles que ceux des producteurs européens. Pour les associations écologiques, l’accord serait aussi néfaste sur la nature à cause des écarts existants entre l’Europe et l’Amérique du Sud en matière de normes environnementales. Enfin, certaines associations craignent un problème sanitaire, notamment à cause des pesticides et antibiotiques utilisés par les membres du Mercosur. Et s’il est prévu que leurs produits répondent aux normes européennes, des lacunes pourraient apparaître dans les contrôles et la traçabilité.