Une semaine après la validation du texte de l’accord commercial UE-Mercosur, Christian Hahn, président de la Chambre d’agriculture, alerte sur les dangers à venir pour l’agriculture européenne.
En validant le texte de l’accord commercial avec les pays du Mercosur le 3 septembre dernier, la Commission européenne a appelé les 27 États membres de l’Union européenne à voter en faveur du traité. Bien que la dernière version de l’accord prévoie une clause de sauvegarde comprenant des mécanismes présentés comme «robustes» afin de protéger les agriculteurs européens, la colère gronde encore. Au lendemain de l’annonce de la validation du texte, une centaine d’agriculteurs venus des quatre coins de l’Europe s’était réunie pour manifester près du Parlement européen à Bruxelles. Un mécontentement que partage Christian Hahn, président de la Chambre d’agriculture, qui nous livre son ressenti.
Quelle est votre réaction à la validation du texte qui comprend des garanties « robustes« , telles que la suspension des imports en cas de déséquilibre pour le marché européen ?
Christian Hahn : Ce que je n’aime pas, c’est le fait de faire un accord pour vendre de la ferraille, du métal et des voitures, tandis que l’agriculture doit courber le dos pour le reste de l’industrie afin qu’elle puisse exporter ses produits. Ce n’est pas correct.
Concernant, leurs garanties, c’est mieux que rien mais, personnellement, je me demande qui va contrôler le prix du marché et dire qu’il est trop bas? Et avec quels moyens ils pourront le faire?
On sait que des problèmes vont se produire notamment pour la viande, que le prix va descendre et donc j’aimerais bien voir s’il y aura un processus qui permettra de payer les éleveurs européens qui n’arriveront plus à payer leur production.
La «trahison programmée» de la France
Avant la validation du texte le 3 septembre dernier, la France menait seule une fronde contre l’accord commercial, assurant qu’elle ne signerait pas tant que l’agriculture européenne ne serait pas véritablement protégée. Depuis, le ton a changé puisque Paris a salué les garanties avancées par Bruxelles, même si Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a précisé qu’il y a encore «besoin d’analyser cette clause de sauvegarde».
«C’est une trahison, une trahison programmée», a déclaré Christian Convers, secrétaire général de la Coordination rurale, (deuxième syndicat agricole français), sur les ondes de RMC/BFM. «On n’est pas dupes, on aperçoit bien que ces choses-là étaient programmées», a-t-il ajouté.
Malgré tout, qu’attendez-vous de l’Union européenne et des politiciens ?
J’espère que l’Union européenne fera du mieux possible pour protéger les clients au Luxembourg, et ailleurs en Europe, en obligeant les produits importés à avoir les mêmes standards que nous. Mais écologiquement, on sait qu’ils ne les auront pas parce qu’ils n’ont pas les mêmes restrictions.
Sur les produits phytosanitaires, il faudrait qu’ils fassent une loi : si un produit est interdit en Europe, le produit doit être à zéro quand il s’agit de viande qui vient hors d’Europe. S’ils ne le font pas, c’est de la concurrence déloyale.
Si le covid se produisait à nouveau, nous n’aurions plus à manger
Maintenant, c’est aux politiciens de faire leur choix. Il y a 40 ans, il y avait entre environ 4 000 exploitations dans le pays et nous sommes descendus à 1 800 aujourd’hui, avec une tendance vraiment vers le bas. C’est donc aux politiciens de décider si on veut encore de la nourriture luxembourgeoise, d’Europe ou si on veut tout importer.
J’ose espérer que la crise du covid a démontré que l’on ne peut pas fonctionner comme cela. En Europe, on ne pouvait plus faire de voitures car nous n’avions plus les producteurs de pièces détachées. Si on fait cela avec nos aliments, cela serait un grand danger, car si le covid se produisait à nouveau, nous n’aurions plus à manger.
Rappelez-nous la position du Luxembourg, en faveur de l’accord.
En décembre 2024, nous avions eu une réunion avec Monsieur le Premier ministre mais nous n’avons pas eu de deuxième réunion. Pour nous, la situation n’avait donc pas changé et nous espérions donc un second rendez-vous pour y parler plus concrètement, car, la première fois, les détails n’étaient pas encore sur la table.
Puis, nous avons entendu son discours sur l’état de la Nation (NDLR : le 13 mai) disant que le Luxembourg était pour le Mercosur. Pour nous, c’était une certaine surprise. Bien que l’on devinait sa préférence pour l’accord, nous avons été surpris qu’il l’affirme dans son discours.
Si les gens veulent nous aider, il faut acheter luxembourgeois
Et quel message souhaiteriez-vous passer aux consommateurs ?
Si vous voulez manger de la qualité, mangez des produits luxembourgeois. Si au Luxembourg on nous dit que le steak d’Argentine est le meilleur du monde, cela me pose un gros problème! Il n’y a pas de viande meilleure que celle du Luxembourg. Il n’y a pas une viande qui rassure plus les clients que la viande du Luxembourg. Nous avons des programmes, nous avons des contrôles, tandis qu’en Amérique du Sud ils n’en ont pas autant que nous.
Et, je ne crois pas dans les certificats qui sont livrés chez eux puisque ce sont certains des pires pays en matière de corruption. Pour 50 euros, je m’achète un certificat et personne ne vient vérifier.
Ici, en Europe, on sait comment sont faits les produits, comment ils sont contrôlés donc c’est au consommateur de consommer des produits d’ici s’il veut avoir une sûreté sur les produits. Si les gens veulent nous aider, il faut acheter luxembourgeois ou européen. Sinon, c’est leur choix de perdre la sûreté que nous avons en Europe.

La Fedil se félicite de cette avancée
Tandis que l’agriculture luxembourgeoise peine à voir les avantages d’un accord UE-Mercosur, la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil) a salué les avancées récentes. Dans un communiqué, la porte-parole des industries estime que cet accord «renforce la résilience, la compétitivité et la présence internationale de l’Europe».
D’une part, la suppression des droits de douane «sur plus de 91 % des biens européens exportés vers le Mercosur» offrirait de «nouvelles opportunités pour les exportateurs luxembourgeois, de l’industrie manufacturière avancée aux produits de niche à haute valeur ajoutée». La signature du traité permettrait également d’«améliorer l’accès aux matières premières pour les industries luxembourgeoises, notamment dans l’acier, la chimie et les technologies vertes» et pourrait «soutenir les PME grâce à un accès simplifié aux marchés et à des procédures de conformité allégées».
En somme, «la Fedil insiste sur le fait que l’Union européenne ne peut se permettre l’hésitation» d’un tel accord.