Dans cette ancienne cité ouvrière historiquement communiste, c’est la désillusion qui domine chez les électeurs. Dimanche, beaucoup n’iront pas voter, quand d’autres se disent «perdus».
Municipalité française de 10 000 âmes, limitrophe avec Esch-sur-Alzette, Villerupt a longtemps été un bastion du communisme. Ici, au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, c’est Jean-Luc Mélenchon qu’on a placé en tête.
Mais inexorablement, ces dernières années, le Rassemblement national (RN) a grappillé des voix dans l’ancienne cité autour de l’usine de Micheville.
Jusqu’à permettre à Marine Le Pen de recueillir 45% des suffrages face à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle il y a deux ans, et à plébisciter la liste de Jordan Bardella aux européennes le 9 juin dernier, avec un score dépassant les 34%.
Alors, le résultat de ce dimanche aux législatives – un coude-à-coude entre la candidate insoumise sortante, Martine Etienne, et le candidat RN, Frédéric Weber, à 58 voix près – n’étonne plus.
Mais si Villerupt fait encore de la résistance dans une circonscription où l’extrême-droite s’est largement imposée (43,46% contre 28,49% seulement pour le Nouveau Front Populaire), ses électeurs de gauche pourraient être nombreux à bouder les urnes au second tour, désabusés.
«Mais vous rigolez là!»
À l’image de Serge, 71 ans, qui fait ses emplettes au marché ce mardi matin, place Jeanne d’Arc. Électeur de gauche depuis toujours, il laisse éclater sa colère : «Macron avait promis de faire reculer le Front national. Il a tapé sur les gilets jaunes, imposé la réforme des retraites, de l’assurance-chômage, mais vous rigolez là!», s’emporte-t-il.
Cet ancien sableur en est convaincu : «Ils veulent tous une chose, c’est leur place. C’est tout.» Oui, il ira voter dimanche prochain, mais pas sûr qu’il s’exprime.
«Jamais pour ces gens-là»
Seule certitude, sa voix n’ira pas au Rassemblement national. «Jamais pour ces gens-là. Mon père était immigré italien dans les mines de fer», scande-t-il, en réajustant sa casquette.
Même position pour Graziella, son épouse, qui se sent perdue. «On en parle à la maison avec notre fils, lui aussi n’a pas envie d’aller voter dimanche», dit-elle, en haussant les sourcils.
«Ils sont tous pareils. Alors, c’est terminé»
Un peu plus loin, abrité sous sa tonnelle, Tony, artisan, tue le temps en attendant les clients qui se font rare en ce matin pluvieux. À 32 ans, ce mari et père de famille a définitivement rompu avec la vie politique. Il ne va plus voter depuis deux ans, «dégoûté».
«À chaque fois, c’est la même chose, ça change pas. Ils sont tous pareils. Alors, c’est terminé», assume-t-il, lui qui n’aborde même plus ce sujet sur les marchés.
Pour autant, il refuse de s’en remettre à l’extrême-droite. «Travailler en indépendant, c’est pas facile, mais j’ai de quoi nourrir ma famille. La vie est chère, il faudrait que le carburant, l’alimentation, tout ça, baisse», pointe-t-il. Il suivra les résultats du scrutin, sans rien espérer.
À gauche, rien n’est oublié
Cette cassure entre la politique et les citoyens apparaît nettement auprès de la vingtaine d’électeurs abordés hier. Une grande partie ne veut plus rien entendre.
La «déception» suite au quinquennat raté de François Hollande a été immense, la «trahison» d’Emmanuel Macron trop douloureuse. On cite aussi volontiers «l’opportunisme» d’Edouard Martin, figure du syndicalisme, qui avait défendu les sidérurgistes lors de la fermeture des derniers hauts-fourneaux d’ArcelorMittal, avant de devenir député européen. Rien de tout cela n’est oublié.
J’ai voté pendant 54 ans, toujours à gauche, mais là, stop
Et même ceux qui ont cru au «projet» de Macron en 2017 sont dans l’impasse. Ainsi, Michel, qui a voté Ensemble ce 30 juin, renvoie désormais dos-à-dos ceux qu’il nomme «les extrêmes».
«Ce ne sera ni les uns, ni les autres. J’ai voté pendant 54 ans, toujours à gauche, mais là, stop», résume-t-il.
Ce genre de discours, les militants du Nouveau Front Populaire, seuls à tracter accompagnés de leur candidate, y sont fréquemment confrontés. Ils rencontrent aussi des citoyens terrifiés à l’idée de voir le RN s’emparer du pouvoir.
«Les gens deviennent racistes»
Comme Éliane, 74 ans, qui vit très mal ce climat politique. Elle suit Jean-Luc Mélenchon depuis 2005 et soutient La France insoumise. «Ça va être difficile. Je suis inquiète face à l’extrême-droite qui explose. Ça a toujours été communiste ici», soupire-t-elle.
«Le Front national est entré dans les foyers via les médias, on les a dédiabolisés et ça a fini par entrer dans la tête des gens.»
«Nos préoccupations, c’est l’insécurité, comme partout. Mais ça a toujours existé! Il y a beaucoup de nouveaux arrivants et les gens ne le supporte pas, ils deviennent racistes. Je ne comprends pas cette haine qui s’installe», souffle-t-elle, les larmes aux yeux.
«Je suis née à Villerupt et j’ai mal au cœur. Nos grands-parents italiens doivent se retourner dans leurs tombes.»
Les salaires luxembourgeois et la misère autour
Si cette retraitée de l’Éducation nationale n’a pas de problème particulier, elle constate cependant la misère autour d’elle, et sa propre fille peine à retrouver un emploi : «Il y a une fracture entre ceux qui gagnent bien leur vie au Luxembourg et d’autres, plongés dans une grande précarité.»
C’est le cas de Georges qui est malade. Tout juste opéré du cœur, ce fils d’ouvrier peste contre «ceux qui ont tout gratuit» alors que lui galère. «Je ne vote plus, j’ai plus confiance en personne», grogne-t-il.
Dimanche prochain, sans une forte mobilisation des électeurs de gauche de la circonscription en faveur du Nouveau Front Populaire et le report des voix de la candidate macroniste battue au premier tour, la victoire semble acquise au représentant du parti de Jordan Bardella.
Bisbille au bureau de vote
Les militants du Rassemblement national ne seraient pas les bienvenus à Villerupt. C’est ce que prétend son candidat dans la 3e circonscription (Briey-Longwy), Frédéric Weber, ancien syndicaliste d’ArcelorMittal, qui arrive dans cette ville en deuxième position, juste derrière la députée insoumise sortante Martine Etienne. «Mon suppléant s’est vu interdire l’entrée d’un bureau de vote», regrette le candidat frontiste. «À Villerupt, ils sont tenus par des LFistes, ce parti qui alimente le chaos, souffle sur les braises et surtout croit détenir la vérité.»
En colère, Frédéric Weber est bien décidé à alerter les services préfectoraux de l’hostilité vis-à-vis des membres de son parti. Pas de quoi déconcerter Pierrick Spizak, le maire divers gauche (Parti communiste français) : «Je ne fais qu’appliquer le code électoral. Le délégué d’un parti qui souhaite faire la tournée des bureaux de vote doit se faire connaître en amont. À défaut, il n’est pas autorisé à passer sa journée près des urnes, ce qui est aussi valable pour un simple électeur».
La messe est dite, le premier magistrat villeruptien s’en amuse : «Monsieur Weber souhaite devenir député et il ne respecte pas la loi. Encore une fois, ces gens-là veulent se faire passer pour des victimes. Ce sont des eurosceptiques, qui bafouent les principes d’égalité, qui ne connaissent pas leurs dossiers. Pour leur faire barrage, il faut faire preuve de pédagogie, faire comprendre à la population la menace qu’ils représentent».