À l’occasion des élections législatives, Le Quotidien passe à table à l’heure du petit-déjeuner avec les têtes de liste ou les candidats emblématiques. Pour un échange libre et dépourvu, si possible, de langue de bois.
À première vue, la taverne Battin – Chez Anita où Ali Ruckert donne rendez-vous a de quoi remporter la palme du café typiquement luxembourgeois. «C’est un café populaire. En fin d’après-midi, c’est le rendez-vous de pas mal d’ouvriers d’Esch-sur-Alzette qui viennent y boire un coup après le travail. Pour ce qui est du café luxembourgeois… la patronne est Portugaise et la serveuse, Roumaine.» Mais peut-être qu’en 2018, c’est cela un vrai café luxembourgeois.
Le président du KPL vient en habitué et voisin dans cette institution locale située… rue Simon-Bolivar. Le Parti communiste et son journal, le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek, dont Ali Ruckert est le rédacteur en chef depuis 1995, se trouve à deux pas, en plein centre de la Métropole du fer, fief historique du mouvement ouvrier luxembourgeois.
Ces élections législatives, le président du KPL les aborde avec «optimisme, un optimisme révolutionnaire», dit-il. Avec philosophie, a-t-on envie d’ajouter, tant Ali Ruckert expose posément des arguments qui, sur le fond, n’ont jamais varié depuis son engagement au KPL : mettre fin à un système capitaliste qui exploite le plus grand nombre au profit des plus riches et menace désormais la survie même de l’humanité par l’épuisement des ressources et la pollution.
Coalition avec le LSAP à Rumelange
Sa première participation à des législatives remonte à 1984, un sacré bail. C’est donc la septième fois qu’Ali Ruckert se présente dans la circonscription Sud du pays. «Je n’ai pris des responsabilités au sein du Parti communiste qu’en 1990, quand j’en suis devenu le secrétaire général», rappelle-t-il. C’est en 2000 qu’il est désigné président du KPL, un parti qui a connu plus de bas que de hauts depuis la fin de l’Union soviétique mais aussi la création de déi Lénk, fondée notamment par des dissidents du KPL. Inutile de préciser que la Gauche ne trouve pas grâce à ses yeux.
«Mais il se passe quelque chose en ce moment», veut croire Ali Ruckert qui constate «une hausse du nombre d’adhérents depuis quelque temps, avec pas mal de jeunes qui viennent vers nous car les conditions de travail se dégradent». Alors, le KPL, combien de membres ? «Nous ne donnons jamais ce chiffre, le KPL ne l’a jamais fait depuis 100 ans», sourit le président des communistes.
Pour preuve d’un regain d’intérêt pour les idées de Karl Marx, Ali Ruckert rappelle la formation d’une coalition entre socialistes et communistes à Rumelange après le scrutin communal de 2017. Cet attelage était la seule solution pour le LSAP de se maintenir au pouvoir. C’est aussi un évènement pour le KPL qui n’avait pas connu une telle situation depuis une trentaine d’années.
«À Rumelange, les socialistes sont plus à gauche qu’au niveau national et ils sont passés outre les consignes de leur parti qui était opposé à une coalition avec le KPL. Mais nous avons posé nos conditions, notamment sur les services publics dont nous avons exigé l’arrêt de la privatisation», rapporte Ali Ruckert, lui-même conseiller communal d’opposition à Differdange, la troisième ville du pays.
Revendications immédiates pour les salariés
Si dans son esprit le LSAP demeure malgré tout un parti avec des gens de gauche, Ali Ruckert déplore sa conversion au néolibéralisme et un seul ministre affiche, selon lui, une vraie constance dans ses idéaux : Nicolas Schmit.
Le programme du KPL, imprimé sur du papier journal en allemand et français, a été distribué à 92 000 exemplaires dans le pays, dont une bonne partie par les militants – «nous n’avons pas les moyens des grands partis». «Nous sommes un parti révolutionnaire et nous visons toujours une transformation en profondeur du système économique», poursuit Ali Ruckert. Cette ambition à long terme n’empêche pas les combats présents : «Nous avons des revendications directes et immédiates pour améliorer les conditions de vie des salariés.»
Ainsi, le KPL milite pour une hausse de 20% du salaire minimum, soit la perte subie en pouvoir d’achat ces cinq dernières années, selon les calculs de la CSL. Une revendication portée haut et fort par l’OGBL ces derniers mois et à laquelle le Premier ministre, Xavier Bettel, avait opposé une sèche fin de non-recevoir.
La proximité avec les revendications syndicales est une constante au KPL. «Quand on est communiste, on est aussi militant syndical», édicte Ali Ruckert. S’il se reconnaît une proximité naturelle avec l’OGBL, le syndicat le plus à gauche, il tient à préciser : «Nous avons aussi des membres au LCGB, le syndicat chrétien, et à la CGFP», la puissante Confédération générale de la fonction publique. Il rappelle les avantages sociaux conquis aux côtés des syndicats, comme justement l’introduction du salaire minimum en 1945 ou, plus tôt encore, le droit de vote des femmes en 1919, obtenu par la mobilisation des conseils ouvriers.
La prospérité pour tous, une illusion
Un accès de nostalgie ? En tout cas pas vis-à-vis des défuntes Union soviétique et République démocratique d’Allemagne (RDA), dont le KPL était réputé proche : «Notre mission est de servir le mouvement ouvrier luxembourgeois.»
Au-delà de dizaines de revendications «immédiates» pour améliorer le quotidien des habitants du pays, particulièrement des plus fragiles, le KPL se fixe un cap sur «des questions plus fondamentales» : «Même si rien ne va se réaliser à court terme, nous voulons que les richesses produites ne soient pas concentrées entre les mains des plus riches et pour cela il faut changer la propriété du capital.» Dans un premier temps, ce processus passerait par «une socialisation de toutes les grandes entreprises et banques», complète Ali Ruckert.
Un tel projet peut-il être entendu dans un pays aussi prospère que le Luxembourg, où tout semble aller pour le mieux dans le monde du capitalisme financier ? «C’est une illusion. Selon Caritas, qui n’est pas vraiment une organisation communiste, 16% de la population du Luxembourg vit à la limite ou sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre est sensiblement le même partout en Europe. Cette pauvreté s’est développée avec les politiques néolibérales mises en œuvre dans l’Union européenne, y compris par des partis qui se disent de gauche.»
Profondément antimilitariste
Quand on lui fait remarquer que les ouvriers qu’il évoque sans cesse sont de moins en moins nombreux au Luxembourg, il s’explique : «Le prolétariat d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a 50 ans. Avant, les ouvriers travaillaient par milliers dans une même usine et cela forgeait une unité, la conscience d’appartenir à une même classe. Aujourd’hui, le monde du travail est plus divisé, plus éclaté, mais les travailleurs ne sont pas moins exploités. C’est le cas des vendeurs, des agents d’entretien mais aussi des petits employés de banque qui sont sous pression permanente.»
Pas de souci donc, il reste bien du grain à moudre et sans doute pour longtemps, «mais parfois les choses vont vite, c’est le propre d’une révolution», s’enthousiasme celui qui a fait sienne la devise de la Révolution française : «Liberté, Égalité, Fraternité».
Tandis qu’à la taverne Battin les clients venus prendre un café rapide au comptoir lancent presque tous «Moien Ali» comme on salue un pote (ou un camarade), le président du KPL laisse poindre son indignation sur un autre sujet lui tenant à cœur : «Nous sommes antimilitaristes et nous le restons, car tu dois prendre en considération les intérêts des travailleurs. Et ce n’est pas dans leur intérêt d’augmenter les budgets militaires. Nous étions contre l’achat du satellite militaire et nous sommes contre l’achat de l’avion militaire, l’A400M. Si nous avons des élus à la Chambre, nous déposerons une motion en ce sens.»
« Le dangers c’est l’extrême droite »
La liste des revendications et améliorations pour les salariés qu’énumère Ali Ruckert promet un monde meilleur, presque idéal. Pourquoi, alors que les partis traditionnels sont discrédités et que la crise de 2008 a montré l’iniquité de l’économie spéculative, les partis de gauche n’arrivent-ils pas à s’imposer ? «Quand il y a une crise, la solution de simplicité consiste à désigner des boucs émissaires. Le danger c’est l’extrême droite, dont la montée est très inquiétante. Dans ces cas, ça marche mieux pour eux car une partie du capital se positionne en leur faveur. Tous ces partis d’extrême droite ou populistes comme l’ADR sont en faveur des politiques néolibérales.»
Autant de sujets à même d’alimenter encore quelques éditoriaux bien charpentés dans les colonnes du Zeitung avant de raccrocher sa casquette de journaliste : «Il me manque quelques mois avant d’avoir mes années pleines de cotisations, après je partirai en pension. Je ne vais quand même pas rester alors que je milite pour un abaissement de l’âge du départ à la retraite.»
Ali Ruckert assure que s’il avait dû choisir entre le Parti communiste et le journalisme, il aurait retenu le journalisme. À 64 ans, il lui restera donc la politique et peut-être un futur siège de député après le 14 octobre. Sinon la prochaine fois? «J’ai la patience révolutionnaire», lâche-t-il dans un grand éclat de rire.
Fabien Grasser
Desen Mann héscht Ali Ruckert an net Rückert.