Le service «Senior Plus» de la commune tente de faire sortir les personnes âgées de leur isolement à l’aide d’un chien.
Les bougies sur le gâteau sont allumées. «Joyeux anniversaire !», entonnent en chœur la douzaine de personnes âgées assises autour de la longue table du local de «Senior Plus» à Differdange. «Joyeux anniversaire Tryggy ! Joyeux anniversaire !», achèvent-elles dans des applaudissements. L’intéressé, lui, indifférent à toute cette attention, poursuit sa quête de caresse et friandise, allant d’une personne à l’autre.
L’administration communale y est aussi allée de sa petite carte pour célébrer les deux ans de ce collègue quelque peu particulier. Tryggur – «fidèle» en islandais – est un Groenendael, un berger belge à la silhouette élancée et aux longs poils noirs, bien connu des Differdangeois. Quand sa maîtresse, Nadine Breuskin, le promène en ville, ils n’hésitent pas à l’arrêter pour demander à le caresser. Sa célébrité, il la doit à son travail : «Triggy», de son petit nom, est un chien de soutien émotionnel pour personnes âgées.
Cette aventure a commencé pendant la période du covid. Les fonctionnaires de la commune gardaient alors le contact par téléphone avec les personnes de plus de 80 ans, seules, pour détecter comment elles allaient en cette période d’isolement accru. Nadine Breuskin, employée dans le service «Senior Plus», a une idée originale pour briser leur solitude. Pourquoi ne se rendrait-elle pas au domicile des seniors avec son chien? «On a fait le test avec une dame qui ne sortait plus de son lit, restait tout le temps en pyjama. Eh bien, pour avoir une photo d’elle avec le chien, elle s’est habillée normalement», se souvient-elle. «À partir de là, on s’est dit que ça pourrait être un projet pour toutes les personnes qui sont seules à la maison.»
À l’époque, c’est avec Grizzly qu’elle commence ses tournées (lire encadré). «Ceux qui sont là aujourd’hui, explique-t-elle en montrant l’assemblée en train de discuter en coupant le gâteau, c’est un petit groupe créé avec des personnes à qui le chien rendait visite. Il était leur point commun pour engager la conversation entre elles.» Il aura fallu trois ans pour en arriver là, mais c’est une réussite. «Nous avions pensé qu’elles échangeraient leur numéro de téléphone pour se voir durant les week-ends aussi, mais c’est encore une génération qui ne fait pas ça. Au début, on se rencontrait dans des pâtisseries, dans des restaurants…», poursuit l’employée communale. «Et puis on a créé l’après-midi « blabla café ». Le but, ce n’est pas toujours d’aller chez les seniors, mais de les faire sortir de leur maison», glisse-t-elle.
Une ligne téléphonique pour Tryggur
Nadine Breuskin est persuadée que ce projet avec Tryggur correspond à un besoin. Elle se souvient avoir proposé de passer faire une activité avec lui à la maison des aînés Servior, pensant qu’il n’y aurait que huit pensionnaires maximum. Mais ils étaient plus d’une trentaine à les attendre : «Pour les seniors, rien que le fait de toucher « Triggy », alors que plus personne ne les touche, leur fait du bien», assure-t-elle, avant d’éclater de rire : «Moi, je n’aurais même pas besoin d’être là.»
Autour de la table, pendant que Tryggur passe d’une personne à l’autre, les voix se font joyeuses, les visages se détendent et s’animent instantanément à son contact, la joie affleure. «On est ici pour fêter l’anniversaire du chien, parce qu’on est en bonne compagnie, entre copines et on aime bien les bêtes», explique Marie-Louise, l’une des participantes au café blabla. Tryggur «est gentil, ça nous fait du bien, il est tout doux, il ramène des jouets pour qu’on s’amuse avec lui», sourit Monique, 83 ans. «Je l’ai connu quand il était petit, dit Marie-Anne, 77 ans. C’est agréable, ça fait du bien, avant, j’avais des chiens et des chats.»
Nicole, 87 ans, était l’une des premières à participer au projet : «J’ai toujours eu des chiens, mais le mien est mort. Un Braque de Weimar gâté pourri, rit-elle. J’ai un appartement, je n’ai pas pu en reprendre un. En plus, si un chien comme ça me tire quand je le promène, je tombe. Avec Tryggur, je profite d’un chien sans en avoir les inconvénients. Je suis contente de le voir, j’adore tous les animaux.»
Tryggur n’est pas seulement la coqueluche de ces dames, mais aussi celle du personnel et son effet thérapeutique joue sur ses membres. Azra, qui avait peur des chiens, ne les craint plus désormais et va jusqu’à admettre que Tryggur lui manque quand elle est en vacances. Une chance : Nadine Breuskin a appris récemment que son fidèle compagnon avait son nom sur la liste téléphonique interne de Senior Plus, Azra pourra l’appeler lors de ces prochains congés.
«Il est comme une éponge»
Ce beau berger belge a commencé à rendre visite aux seniors de la ville de Differdange avec Grizzly, l’autre chien de Nadine Breuskin, désormais âgé de 14 ans qui profite de sa retraite. Il passe ses journées dans le bureau de sa maîtresse, quand il n’est pas en visite au domicile des seniors, à leur demande ou à l’initiative de Senior Plus. Son trait de caractère principal? «Il est très très câlin, même la cheffe vient ici en câlinothérapie», indique Nadine Breuskin dans un rire. «Mais il est aussi très attentif, très sensible aux sentiments des personnes. Il faut vraiment faire attention. Ça nous est déjà arrivé d’annuler une visite quand lors de la précédente, les gens étaient très tristes. Il est comme une éponge, il faut le protéger.» A-t-il été dressé spécifiquement? «Non, ce n’est pas un chien pour besoins spécifiques, il est seulement soutien émotionnel. Il est allé dans une école de chien normale, et là on s’entraîne de temps en temps pour ce qui ne marche pas encore. En ce moment, on essaie de le faire arrêter d’aboyer sur commande par exemple», soupire sa maîtresse. Et cerise sur le gâteau – ou sur la pâtée : il comprend toutes les langues !