« C’est l’heure de la rébellion pacifique et de la création d’un pays libre », s’exalte Julia, une lycéenne de 14 ans qui s’est jointe aux manifestations de centaines de milliers de Catalans mardi à Barcelone.
Parties de la Place d’Espagne pour s’en aller vers la Place de Catalogne, Julia et cinq de ses camarades se font des selfies devant un immeuble orné d’une immense banderole: « Welcome to the Catalan Republic » (Bienvenue dans la République catalane).
Pour elle, le président de la région, le séparatiste Carles Puigdemont, peut bien déclarer déjà l’indépendance, « parce que toute l’Europe a vu que l’Espagne n’est pas une démocratie: on votait, ils nous frappaient. »
Quant le chef du gouvernement espagnol, le conservateur Mariano Rajoy, a fait un discours dimanche, « on aurait dit qu’il n’avait pas regardé les informations », lance sa soeur jumelle, Paola. « Il n’a pas parlé des blessés, il a même dit qu’il n’y avait pas eu de référendum », proteste l’adolescente, assurant pourtant « ne pas être indépendantiste » mais « manifester pour la liberté d’expression et la non-violence ».
« Dehors les forces d’occupation », « Les rues seront toujours à nous » : deux slogans entonnés par une foule de Catalans de tous âges qui donne l’impression de vivre déjà « son » émancipation.
Les « Rajoy, démission » résonnent dans tout le centre-ville. Une multitude de pancartes en catalan l’interpellent vertement: « Nous sommes les petites-filles des grands-mères que tu as frappées hier », « la violence est l’ultime recours de l’incompétent » ou « l’autorité émane du consentement des gouvernés et non de la menace de la force »…
Une adolescente brandit, elle, un message ironique adressé au roi d’Espagne qui n’a encore rien dit: « Felipe, c’était bien, ton week-end? »
‘C’est lamentable’
A Madrid, au même moment, le porte-parole du parti conservateur au pouvoir compare les dirigeants séparatistes catalans à des « nazis ». De quoi faire bouillonner un peu plus le sang de Jordi Martí Bautista, 68 ans, retraité des Douanes et électeur du parti d’extrême gauche indépendantiste CUP, qui s’étrangle: « Je suis un ancien prisonnier politique de 1970 en tant qu’anti-fasciste » au temps de la dictature de Francisco Franco (1936-1975).
Alors que les autorités séparatistes de la région semblent prêtes à déclarer l’indépendance, après avoir annoncé « 90% de oui » au référendum d’autodétermination interdit, toute une partie de la Catalogne s’inquiète. Pas lui.
« On obtiendra l’indépendance ou non, mais mentalement nous sommes libres, dit l’ancien douanier. Le drame, c’est qu’ils n’arriveront plus à me faire sentir de nouveau espagnol ».
Sur la place de l’Université, où des centaines de manifestants pique-niquent à même le goudron, l’ambiance est d’autant plus détendue qu’aucun policier national ni garde civil n’est en vue.
Dans l’un des rares restaurants ouverts, des infirmières du même hôpital – en grève – déjeunent de chorizo et de « patatas bravas » après avoir manifesté. « Jusqu’à présent, j’avais mes doutes, parce que je ne vois pas clairement de quelle manière l’indépendance nous bénéficie, mais avec la répression, je vois que nous devons quitter l’Espagne », s’emballe Maria Dolores Pardillo, 59 ans.
Dans la foule, un manifestant élève cependant bien haut sa pancarte: « je ne suis pas indépendantiste ». Cet architecte de 38 ans, Lluis Fuste, a un double message pour MM. Rajoy et Puigdemont: « Un, c’est lamentable qu’on ne laisse pas voter notre peuple pour qu’il dise ce qu’il veut. Deux, la déclaration unilatérale d’indépendance serait lamentable aussi ».
Le Quotidien / AFP