Psychologue au sein de l’ASBL SOS Détresse, qui vient de fêter ses 50 ans, Susana Campos évoque les évolutions survenues dans le soutien moral apporté et la place sociétale de la santé mentale.
L’ASBL SOS Détresse a fêté ses 50 ans d’existence lors d’une journée d’ateliers et d’une conférence de presse le 30 octobre dernier. L’occasion de revenir avec Susana Campos, psychologue clinicienne depuis dix ans au sein de l’association, sur les évolutions de son travail et celui de la soixantaine de bénévoles qu’elle forme afin de prendre les appels de personnes en quête d’écoute et de soutien.
En 50 ans, y a-t-il eu une évolution dans l’accompagnement des personnes en détresse ?
Susana Campos : Absolument, il y a eu une évolution à différents niveaux, à commencer par l’accessibilité. D’abord, nos disponibilités se sont élargies, avec des plages horaires de permanence plus importantes, de 11 h à 23 h en semaine et jusqu’à 3 h les vendredi et samedi.
Nous avons également mis en place d’autres canaux afin de nous contacter. En 2013, nous avons introduit l’aide en ligne qui est un système de messagerie chiffrée grâce auquel les personnes peuvent nous écrire à tout moment. Notamment pour les jeunes qui téléphonent moins spontanément. En 2022, nous avons lancé une deuxième ligne d’écoute exclusivement en anglais pour nous adapter à la société multiculturelle d’aujourd’hui. Et l’année dernière, nous avons introduit le chat en direct.
Et en termes de pratique professionnelle ?
Sur ce plan, l’association a commencé en 1975 avec peu de moyens et un groupe de bénévoles, avant de se professionnaliser au fil du temps. Des psychologues ont été embauchés et donc les formations que les écoutants bénévoles reçoivent, basées sur les dernières décennies de recherche en psychologie ou neurosciences, ont aussi évolué.
Le réseau psychosocial s’est amélioré
Je dirais aussi que le réseau psychosocial s’est amélioré parce que, j’imagine, il y avait beaucoup moins de ressources et de structures au Luxembourg il y a 50 ans afin d’orienter certains vers un soutien adapté. Il y a maintenant la possibilité d’un travail plus efficace en collectivité que dans le passé.
Malgré tout cela, nos valeurs et l’essence de notre travail restent inchangées. Il s’agit encore de la même mission de présence humaine et d’écoute sans jugement.
Au fil des années, de nouvelles thématiques ont-elles été abordées par les appelants ?
Parfois, il y a des préoccupations qui sont liées à l’actualité mondiale qui peut être anxiogène, comme c’était le cas lors de la pandémie de covid par exemple. Sinon, même au fil des décennies, on peut dire qu’il y a de grandes thématiques qui reviennent toujours.
Il y a principalement les problèmes relationnels liés au couple, à la famille, au travail, à une rupture, à un décès ou à la solitude. Ensuite, il y a les problèmes plus individuels de santé psychique ou physique, tels que des états dépressifs, l’anxiété ou un mal-être général. Et puis, il y a les questionnements sur soi et sur le sens de sa vie qui sont intemporels et universels.
Sortir de l’isolement en partageant sa souffrance
La jeunesse actuelle est-elle plus au fait des questions de santé mentale que les générations précédentes ?
On peut remarquer que les jeunes adultes vont utiliser un vocabulaire qu’ils n’avaient sûrement pas il y a des années en parlant facilement d’anxiété, de burn-out ou de dépression. Et c’est une bonne chose, cela facilite l’accompagnement mais il peut y avoir un risque d’autodiagnostic ou de banalisation. En tout cas, ils sont plus informés et plus sensibilisés grâce aux réseaux sociaux et aux médias.
Cette sensibilisation permet-elle à la parole de se libérer ? Ou est-ce tabou de se faire aider ?
Comme on en parle davantage, il y a moins de stigmatisation, la parole s’est libérée, mais cela reste encore difficile de parler. Nous appeler reste un acte courageux, car cette société valorise la productivité et entraîne chacun à montrer son meilleur côté donc s’avouer vulnérable ou fragile reste difficile. C’est pour cela que deux de nos grandes valeurs au sein de SOS Détresse sont l’anonymat et la confidentialité.
Cela permet de faire de chaque appel ou échange un espace où la personne peut se montrer telle qu’elle est, où l’on va l’accepter pour tout ce qu’elle ressent et c’est aussi l’occasion de reprendre un peu le contrôle et de sortir de l’isolement en partageant sa souffrance.
Contact : 454545.lu ou par téléphone 45 45 45
Chat GPT comme psy?
Ces derniers mois, de nombreux témoignages dans la presse et sur les réseaux sociaux font état de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) générative comme d’un psychologue, notamment chez les jeunes en Europe ou aux États-Unis.
Auprès de SOS Détresse, Susana Campos témoigne que «c’est très récent le fait que l’on ait des appelants qui fassent référence à Chat GPT ou autre en nous disant : J’ai demandé ça, on m’a répondu ça.»
D’après ses observations, la psychologue constate néanmoins que l’IA sert davantage de recueil d’informations que de psychologue automatisé. «Pour se sentir reconnu, compris et entendu, cela passe par l’autre, par la relation humaine, par son écoute empathique, son regard valorisant, son attention complète ou ses émotions partagées», ajoute la professionnelle. Loin de l’algorithme, «c’est la dimension humaine qui permet à une personne de se sentir exister».