Fondée en 1995, Tarantula Luxembourg va fêter ses 30 ans ce samedi durant le LuxFilmFest. L’occasion pour son fondateur, Donato Rotunno, de retracer l’évolution du studio et du cinéma au Grand-Duché.
«Le temps passe vite, ça c’est sûr.» Dans ses bureaux à Bonnevoie, le directeur général de Tarantula, Donato Rotunno, doit replonger dans ses souvenirs. Il y a 30 ans, il créait une nouvelle société de production dans un paysage cinématographique encore en construction. «Il y avait une espèce de no man’s land», affirme le producteur. Dans la première moitié des années 90, l’industrie du cinéma commence à peine à se structurer au Luxembourg avec la mise en place d’accompagnements et la création du Film Fund. Certains acteurs historiques étaient néanmoins déjà là comme Samsa, depuis près d’une dizaine d’années, ou Paul Thiltges.
«Il y avait de plus en plus de techniciens, de réalisateurs, de scénaristes et de comédiens qui voyaient dans ce milieu une possibilité de s’exprimer et d’y exercer leur métier. Je me suis inscrit dans cette vague avec beaucoup d’enthousiasme et de naïveté.» Diplômé de l’Institut des arts de diffusion, en Belgique, Donato Rotunno avait commencé comme assistant réalisateur. Si ces premières expériences lui ont permis de mettre un pied dans ce monde, l’envie de produire ses propres films le pousse rapidement à la création de Tarantula. Une nouvelle étape qui l’oblige à se former à nouveau. «J’avais une expérience du terrain en tant qu’assistant réalisateur, mais la production, c’est autre chose.»
Dès l’année suivante, en 1996, Tarantula Belgique voit le jour afin de développer un aspect central de la société : la coproduction (lire ci-dessous). Après quelques courts métrages et documentaires, un premier long est mis en chantier en 2002 : Une part du ciel, de Bénédicte Liénard. Sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard, le film met le studio sur la carte du cinéma international. «Ça a été fulgurant!»
Un pays de coproductions
L’organisation du cinéma luxembourgeois favorise avant tout les coproductions. Si les producteurs du Grand-Duché investissent minoritairement dans de nombreuses créations étrangères, l’inverse est également vrai. «Par les règles et critères du Film Fund, on est obligé d’avoir un minimum de 20 % de partenariats et de financements étrangers sur nos films», explique Donato Rotunno. Ce qui va pousser Tarantula à rapidement créer une seconde société en Belgique.
«Dès le départ, j’ai dit qu’on était trop petit pour survivre et que si on voulait vraiment faire du cinéma indépendant, il fallait d’autres acteurs dans des pays voisins comme la Belgique francophone. Elle a évolué plus ou moins en parallèle du Luxembourg sur les 35 dernières années. Il y avait cette même énergie, cette espèce d’envie d’apprendre, de créer un réseau et d’unir un peu les forces.» Très vite, cette logique s’est installée au sein de Tarantula et s’est étendue à d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la France, permettant au studio de développer sa ligne éditoriale comme il le souhaitait.
«Un savoir-faire assez rare»
Alors que Tarantula grandit, le cinéma luxembourgeois évolue en parallèle. En constant apprentissage, le secteur se consolide peu à peu et de nouveaux acteurs voient le jour, comme Les Films Fauves ou Bidibul Productions. Mais pour Donato Rotunno, plus que des concurrents, ils apportent surtout une diversification nécessaire. «Par exemple, l’apparition des productions en VR qu’on n’avait pas il y a dix ans. Ça a apporté un plus. C’est nécessaire d’avoir des changements de génération.»
Ces nouvelles productions vont permettre un élargissement de l’audience, allant au-delà du cinéma de festival des débuts, sans pour autant renoncer à une certaine exigence. La multiplication des acteurs entraîne également une structuration toujours plus grande avec des projets communs comme Filmland. Partenariat entre cinq producteurs luxembourgeois, dont Tarantula, ces studios de cinéma ont été érigés à Kehlen sur plus de 4 000 mètres carrés et proposent plateaux de tournage, bureaux de production, loges et ateliers de postproduction. «C’est un outil de fabrication nécessaire dans un paysage luxembourgeois qui est quand même relativement restreint.»
Un cinéma de «provocation intellectuelle»
Avec plus d’une centaine de films coproduits depuis sa création, Tarantula a su affirmer son style au fil des années. «C’est vraiment comme une maison d’édition, affirme Donato Rotunno. Des gens qui m’envoient des scénarios de comédies ou de films de science-fiction à 15 millions d’euros, c’est qu’ils n’ont pas été sur notre site.» Mais alors comment définir la patte Tarantula? «C’est d’abord des films qui, par leur sujet, interrogent la société. Soit par la thématique abordée, soit par la forme qu’on propose.»
Faire réfléchir le spectateur, le questionner plus que lui apporter des réponses, la ligne que s’est fixée Tarantula est ambitieuse, mais a permis au studio de se démarquer en proposant un cinéma radical, quitte à bousculer le spectateur. «Ce n’est pas un cinéma commercial qui trouve sa place de façon naturelle. C’est un cinéma de provocation, mais de provocation intellectuelle.» Et si cette stratégie a été rapidement payante en festival, elle a aussi fait de Tarantula un collaborateur de choix pour les projets atypiques. «Les gens qui nous approchent savent très bien quel type de cinéma nous intéresse et quelle est notre définition du travail de producteur. On n’est pas des banquiers ni des financiers, on est des producteurs d’accompagnement, de création.»
Cette installation est aussi un atout pour attirer des productions internationales. Car au fur et à mesure des années, le Luxembourg a su trouver sa place dans l’industrie, attirant de nombreux projets. Au-delà du financement, c’est avant tout la main-d’œuvre et son expérience qui permettent de faire la différence. «Ici, il y a un savoir-faire, que ce soit au niveau des techniciens et des sociétés de production, qui est vraiment assez rare. Un exemple type : nous sommes capables de parler trois, quatre, cinq langues sans problème. Et nos techniciens connaissent les habitudes de travail anglo-saxonnes aussi bien que celles des plateaux francophones ou germanophones.»
En évolution depuis trois décennies, Tarantula souhaite continuer sur la même dynamique. «Il faut être réactif à ce qui se passe autour de nous, donc l’avenir n’est certainement pas au repos», reconnaît Donato Rotunno. Impossible d’évoluer en vase clos, coupé de la société et de la politique, surtout pour un studio dont les films ont pour but «d’interroger la société» (lire encadré).
Une mission d’autant plus importante dans un monde où le concept de vérité fluctue fortement, notamment dans le discours de certains politiciens. «C’était utile il y a 30 ans, ça l’est encore aujourd’hui. Il faut continuer à proposer un cinéma de nuances dans un monde qui se réfugie dans des vérités parfois douteuses.»
Les futures productions
Plusieurs projets sont dans les cartons de Tarantula Luxembourg. «On a toujours trois phases : les projets en développement, ceux en postproduction, qui sont en train de se clôturer, et ceux en production, détaille Donato Rotunno. Il faut d’ailleurs que les boîtes de production fonctionnent comme ça, parce que le processus de fabrication d’un film est très long.» Parmi les prochaines sorties, le film Horizonte du Colombien César Augusto Acevedo est prévu pour le 26 mars (séance au LuxFilmFest mardi 11 mars, à 21 h au Kinepolis Kirchberg). Viendra ensuite la minisérie en six épisodes Projecto Global du Portugais Ivo Marques Ferreira qui sera diffusée au printemps avant qu’un long métrage ne débarque en salle à l’automne. Coproduit avec le Portugal, où se déroule l’action, le film plongera les spectateurs au sein d’un groupe clandestin d’extrême gauche, désenchanté par les années qui ont suivi la révolution des Œillets.
Dans un tout autre style, le thriller La Voie du serpent de Kiyoshi Kurosawa, coproduit par la France, la Belgique et le Japon, sortira en juin prochain (séance au LuxFilmFest vendredi 14 mars, à 20 h 30 à l’Utopia), tandis que deux autres longs métrages sont attendus à l’automne : Exil du Tunisien Mehdi Hmili et Live for Me du Néerlandais Mark de Cloe. Enfin, Donato Rotunno prépare un nouveau documentaire sur les trois villes abritant les institutions européennes (Luxembourg, Strasbourg et Bruxelles) : Capitales Europe – la bataille des sièges.