Le conflit avait miné le début du quinquennat de François Hollande. Dix ans après l’arrêt des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal, les cathédrales de feu rouillent toujours dans le ciel de Moselle, et la dépollution du site est en suspens.
« Quand les hauts-fourneaux se sont arrêtés, ce qui nous a surpris, c’était le silence. On était comme assourdis par le silence. Soudain, on entendait les oiseaux chanter », se souvient l’ancien syndicaliste CFDT Édouard Martin, figure du combat contre la fermeture du site.
À quelques centaines de mètres, la tour du « P6 », le sixième haut-fourneau du lieu-dit Patural, domine toujours la vallée de la Fensch, cœur séculaire de la sidérurgie lorraine.
Le 24 avril 2013, l’alimentation en gaz était coupée dans le P6 et son voisin le P3, les deux derniers hauts-fourneaux lorrains encore en activité. Depuis près de deux ans déjà, ces installations ne produisaient plus de fonte. Fin 2018, la cessation d’activité deviendra officiellement définitive.
S’il a stoppé ses hauts-fourneaux, ArcelorMittal a maintenu d’autres activités à Florange, où il emploie plus de 2.200 salariés occupés à produire de l’acier utilisé principalement dans l’industrie automobile.
Résultat, dix ans après, l’économie locale s’est plutôt bien remise du choc, aidée par le boom du Luxembourg voisin, où vont travailler chaque jour quelque 120.000 frontaliers.
« C’est pas Byzance, mais ça va », résume Michel Liebgott, président PS de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, qui constate « une dynamique assez positive depuis la fermeture des hauts-fourneaux », un taux de chômage à peine supérieur à la moyenne nationale et des créations d’entreprises en hausse.
« Le traumatisme de Florange, plus personne n’en parle », dit-il.
« Tous reclassés »
L’arrêt des installations avait plombé les premiers mois de la présidence de François Hollande, qui, peu avant son élection en 2012, avait harangué les sidérurgistes depuis le toit d’une camionnette.
Une fois arrivé au pouvoir, son gouvernement devait se résoudre fin 2012 à la fermeture. « Mais le bras de fer qui consistait à empêcher le plan social de se produire, nous l’avons remporté », faisait valoir l’ancien président en novembre dernier dans un entretien à France Bleu Lorraine.
Si ArcelorMittal s’était engagé à l’époque à investir 180 millions d’euros à Florange, 10 ans après le chiffre atteint 350 millions, a souligné François Hollande.
Chez les employés d’ArcelorMittal, « il n’y a pas eu un seul licenciement », reconnaît Édouard Martin, même si on ne peut en dire autant des sous-traitants. En plus des salariés partis en pré-retraite, « tout le monde a été reclassé ».
« Les gens vont plutôt bien, l’usine tourne », admet l’ancien syndicaliste, devenu député européen jusqu’en 2019. Même s’il ne se remet toujours pas du « gâchis » économique provoqué par la fermeture du site.
« Les tréfonds de la terre »
Si certains habitants ont fait circuler une pétition pour maintenir l’architecture industrielle dans le paysage, la démolition du site plus que centenaire est à l’ordre du jour. Mais la dépollution n’a pas commencé.
ArcelorMittal a signé un compromis de vente avec la société Henry Invest, une filiale d’Oxytec, groupe présent au Luxembourg, en Belgique et en Lorraine, en vue de la déconstruction des installations, qui s’étendent au total sur 180 hectares.
Oxytec prévoit d’acheter une quarantaine d’hectares au prix de 500.000 euros, avant de les revendre au bout de cinq ans aux collectivités locales, explique le patron du groupe, Patrick Henry.
« Les sols seront dépollués pour un futur usage industriel », ajoute l’entrepreneur, précisant que les sols seront creusés jusqu’à six mètres de profondeur, avant d’être comblés avec « des terres propres ».
« Des études ont été faites, on sait ce qu’on va retrouver. Le sol n’est pas très pollué, ce sont principalement des hydrocarbures », assure-t-il.
Mais la pollution atteint des profondeurs beaucoup plus lointaines, estime Édouard Martin. « Les fondations sont aussi profondes que la hauteur des hauts-fourneaux. Il y a eu de l’huile et des produits chimiques qui ont pénétré pendant plus de 100 ans dans les tréfonds de la terre ».
Selon lui, « il y a des millions de m3 de terre à dépolluer ». « Mittal a déjà dit qu’il ne le fera pas », ajoute l’ancien syndicaliste, pour qui la facture d’un nettoyage complet s’élèverait « à des centaines de millions d’euros ».
Parc expo
« Personne ne sait trop ce qu’il y a dans le sol », abonde Michel Liebgott.
Pour la communauté d’agglomération, hors de question de « passer à côté d’une bonne affaire » comme celle de la vente des terrains, compte tenu du manque de foncier dans la région.
« Personne ne s’intéressait à nos friches industrielles avant. Aujourd’hui, tout le monde s’y intéresse », observe l’édile, qui rêve de voir s’élever, entre autres, un parc expo à la place des hauts-fourneaux.
Cette montagne de ferraille pourrait représenter quelque 60.000 tonnes de métal, selon le patron d’Oxytec, soit un butin de 24 millions d’euros à la revente. La moitié de la somme sera reversée à ArcelorMittal si le prix de l’acier reste supérieur à 350 euros la tonne.
Ces montants suscitent des craintes chez Fabien Engelmann, maire RN d’Hayange, la commune où s’étendent en grande partie les hauts-fourneaux. Ce dernier redoute que Henry Invest se mette en faillite après avoir récupéré le produit de la vente des métaux.
« Une fois que ce trésor est vendu, qui payera la dépollution ? » s’interroge-t-il.
Engelmann a adressé un recours gracieux au préfet de Moselle pour lui demander de bloquer la vente des terrains, afin que l’État se charge directement de la dépollution du site.
Non loin de Florange, une dépollution plus douce est en cours aux pieds d’un autre haut-fourneau laissé pour l’histoire à Uckange. Là, ce sont des végétaux qui absorbent lentement les métaux présents dans le sol.