Gao Xingjian, l’artiste aux multiples talents et prix Nobel de littérature 2000, revient au Luxembourg pour présenter de nouvelles oeuvres et un film. Deux soirées exceptionnelles autour d’un homme à l’histoire extraordinaire.
Poète, essayiste, dramaturge, metteur en scène (théâtre et opéra), cinéaste, peintre et photographe, Gao Xingjian est un touche-à-tout. Pour preuve, sa double actualité au Grand-Duché,où il présentera ses récentes encres de Chine (galerie Simoncini) et son troisième film, Le Deuil de la beauté (Cinémathèque). Deux rendez-vous auxquels est associé le Printemps des poètes-Luxembourg. C’est depuis chez lui, à Paris, qu’il a accepté de nous accorder une interview.
E n 2012, lors de la parution de son recueil de poésie Le Deuil de la beauté (éditions Simoncini), le public luxembourgeois avait rencontré Gao Xingjian, artiste polymorphe français d’origine chinoise (naturalisé en 1998) dont «l’œuvre est de portée universelle». Ses écrits sont traduits dans plusieurs langues, ses pièces sont jouées sur toutes les scènes et ses peintures à l’encre de Chine font l’objet d’expositions dans le monde entier.
Le Quotidien : En 2000, vous remportez le Nobel de littérature, le jury saluant la portée universelle de votre œuvre qui ouvre de nouvelles voies à l’art du roman et du théâtre chinois. Est-ce que le prix a changé votre vie?
Gao Xingjian : Oui, beaucoup! À l’annonce du Nobel, j’ai été pris dans un véritable tourbillon médiatique, j’ai reçu une reconnaissance incroyable de mes pairs, mais aussi de mes lecteurs. Le prix a surtout permis de faire voyager mes œuvres, d’être traduit dans plus de 40 langues différentes et, à mes pièces, d’être jouées plus de 100 fois à travers le monde. Malheureusement ou heureusement, je suis tombé malade à la même période, donc j’ai dû me mettre en retrait pendant quelque temps, ne faire que le nécessaire.
Vous avez quitté la Chine il y a plus de 30 ans pour la France. Est-ce que votre reconnaissance internationale vous a permis de renouer avec votre pays d’origine?
Tous mes ouvrages sont écrits en chinois, sont publiés à Taïwan et Hong Kong, beaucoup d’universités étudient mon œuvre et m’invitent pour des séminaires et conférences pour continuer à approfondir leurs recherches. Nous avons même un projet de festival d’art à mon nom, dans lequel nous allons présenter mes pièces de théâtre dans des mises en scène inédites. Pour ce qui est de la Chine continentale, je n’ai plus jamais eu aucun contact : mes œuvres sont toujours aujourd’hui soumises à la censure du pays et ne sont donc pas accessibles là-bas.
Vous revenez pour la troisième fois au Grand-Duché pour présenter vos dernières œuvres picturales et votre troisième film, Le Deuil de la beauté . Comment le film est-il né et comment passe-t-on de la poésie au cinéma?
Il s’agit peut-être de mon dernier film. C’est un véritable ovni : ce n’est ni une fiction ni une narration et surtout pas un film commercial, qui pourrait entrer dans les circuits de diffusion. C’est un film très libre, libre comme le poète! Il a été conçu d’après mon poème éponyme que les éditions Simoncini ont été les premières à publier en 2012. Mon film est une longue phrase, à l’image de ce poème, qui dure près de deux heures, réunit 40 acteurs et danseurs.
J’ai toujours rêvé, depuis que je suis tout petit, de pouvoir réaliser un film poétique. Je l’ai donc fait! Il n’y a pas de producteurs ni de financeurs pour ce projet. Il m’aura fallu près de sept ans de préparation et trois ans pour la réalisation et la postproduction. C’est un grand film! Une réflexion sur le temps, mais aussi sur le sens du beau disparu – remplacé par la mode, la consommation, la publicité – et enfin, sur la richesse du patrimoine universel.
Vous avez utilisé des images provenant du monde entier pour réaliser votre film, dont certaines du Luxembourg. Comment avez-vous construit ce poème visuel?
J’ai réalisé des prises de vues dans le monde entier. Partout où je me déplaçais, je faisais des vidéos et des photographies. Ce sont celles-ci qui sont dans mon film, entièrement réalisé dans mon studio. Nous avons installé deux écrans qui projetaient les images que j’avais récoltées ici et là, et les acteurs et danseurs jouaient devant. Quand je suis venu auparavant au Luxembourg, j’ai également réalisé des images que j’ai bien sûr insérées dans mon film.
Quelle est votre relation avec le Luxembourg. Qu’est-ce qui vous pousse à y venir régulièrement?
Car j’y suis toujours tellement bien accueilli. Beaucoup de monde vient me voir à chaque fois, les échanges sont très riches. J’ai une relation très proche avec la galerie Simoncini qui expose mes œuvres et leurs éditions qui ont publié mon poème. La galerie va présenter à partir de vendredi mes peintures les plus récentes, toujours à l’encre de Chine.
Votre carrière donne un peu le tournis tellement elle est remplie de créations et d’expériences. Est-ce que vous continuez à créer en permanence?
Comme je vous l’ai déjà dit, je suis tombé malade au moment du Nobel et je dois faire plus attention maintenant. Je ne vais bien sûr pas arrêter de créer, seulement, je vais le faire plus tranquillement. Je vais essayer de me concentrer sur le nécessaire. Mon premier objectif, c’est de prendre des vacances l’été prochain, car je n’en ai pas pris ces 27 dernières années!
Mylène Carrière
Deux soirées au programme
Gao Xingjian est de retour à Luxembourg pour présenter son poème Le Deuil de la beauté porté sur grand écran, ainsi que ses nouvelles œuvres picturales. Deux soirées qui nous promettent une magnifique rencontre et de beaux échanges avec l’un des plus illustres poètes contemporains.
FILM
C’est autour d’une discussion entre Gao Xingjian et Claude Bertemes, le directeur de la Cinémathèque, que la première soirée va commencer, avant de découvrir la véritable expérience visuelle qu’est son dernier film, Le Deuil de la beauté . Les images viennent de New York, Séoul, Tokyo, Hong Kong, mais aussi Paris et Londres, Venise et Luxembourg, bien qu’il ait été presque entièrement tourné dans l’atelier de l’artiste. Une quarantaine d’acteurs, danseurs, acrobates d’une dizaine de nationalités et pour certains bénévoles (1 600 s’étaient inscrits au casting!) ont participé à ce projet fou et magnifique qui a demandé sept années de travail au réalisateur.
Cinémathèque – Luxembourg. Jeudi 8 septembre à 20 h 30. VO fr. et ang.
ŒUVRES
Le lendemain vendredi, c’est à la galerie Simoncini que Gao Xingjian troque ses habits de réalisateur pour ceux de peintre, y dévoilant ses œuvres récentes sur toile et sur papier, réalisées à l’encre de Chine où se croisent la tradition chinoise de la peinture à l’encre et une approche toute personnelle de la modernité occidentale.
Galerie Simoncini – Luxembourg. Vernissage vendredi 9 septembre à partir de 18 h. Jusqu’au 15 octobre.
Soirées en collaboration avec la galerie et les éditions Simoncini. Avec le concours du Printemps des poètes-Luxembourg.