Quand Balthus s’essayait au polaroïd : des œuvres rares exposées à Paris.
« Jeune fille à la mandoline », l’ultime toile de Balthus, à jamais inachevée. Un très grand format qui pourrait être à vendre pour près de 5 millions de dollars. (Photo : DR)
Des polaroïds inédits en Europe, des dessins et toiles rares issus de collections privées : la galerie Gagosian présente à Paris une exposition d’œuvres originales de Balthus, la première depuis la rétrospective du Centre Pompidou en 1983/84. Accueillant le visiteur, un autoportrait de Balthasar Klossowski de Rola, dit Balthus, au regard hypnotique, dessiné au fusain en 1943, impose son aristocratique présence jusqu’à fin février dans la galerie d’art contemporain.
Né à Paris en 1908 et disparu en Suisse en 2001, le peintre d’origine polonaise a été reconnu tôt par le milieu intellectuel, mais son rayonnement est resté limité jusqu’à la fin des années soixante. Dès 1936, son ami le poète et dramaturge Antonin Artaud, fut l’un des premiers à louer son génie. « Balthus s’est nourri uniquement de peinture, a traversé toutes les époques, il a enjambé tous les courants, sans concession, et conçu une œuvre unique », déclare le sculpteur André Barelier, qu’une amitié de quarante ans a lié au peintre.
Ils se connurent au sein de l’Académie de France à la Villa Médicis, à Rome, que le peintre a dirigée de 1961 à 1977. Balthus peint alors des paysages italiens de Monte Cavallo, réalisés entre 1970 et 1975, au crayon et à l’aquarelle dont plusieurs exemplaires sont exposés avec aussi une pièce de 1955, Paysage du Morvan. Dès l’enfance, la vie de Balthus et son frère, l’écrivain Pierre Klossowski, a été jalonnée de rencontres extraordinaires dont celle du poète autrichien Rainer Maria Rilke, qui eut une longue liaison avec leur mère, Baladine Klossowska, et fut en quelque sorte leur mentor.
> « On est dans son œil »
Le poète était « très attentif à ces deux garçons, se sentait très concerné par leur évolution », dit Jean-Olivier Desprès, directeur de la galerie. Rilke « va aiguiller » le jeune homme et l’inciter à faire un voyage d’initiation en Italie où il s’éprend des maîtres de la Renaissance Piero della Francesca et Masaccio. À Paris, il se forme auprès de Pierre Bonnard, Maurice Denis, André Derain. Une grande gouache, rarement montrée et qu’il a peinte à 18 ans, témoigne de cette maîtrise.
Les Évangélistes Matthieu et Luc (1926/1927), est « une étude incroyable peinte pour la fresque du temple de Beatenberg », en Suisse, souligne Jean-Olivier Desprès. « Il est très tôt fascinant techniquement, d’une maîtrise inouïe, sa composition est ultra sophistiquée », commente-t-il en désignant un accrochage de dessins et d’études à l’encre indienne, réalisés entre 1928 et 1931. « Ces dessins préfigurent les chefs-d’œuvre », dit-il.
Au contraire de Picasso, Balthus a peint peu de toiles, 351 seulement. Mais il réalisait pléthore de dessins préparatoires et cherchait toujours à parfaire ses œuvres. Démonstration faite avec l’histoire du Portrait de jeune fille en costume d’amazone, petite huile sur toile où pose Antoinette de Watteville, la première épouse de Balthus qui lui donna deux fils, Thadée et Stanislas. Au dos, Balthus a inscrit un poème d’amour de Lord Byron.
Daté de 1932, le tableau est ensuite vendu. Bien des années plus tard, Balthus le rachète. Il retouche le visage de la blonde Antoinette dont il rajeunit l’expression, ajoutant au dos : « Repeint cinquante ans plus tard »… « Il n’y a rien d’étonnant à cela, il était mu par l’obsession du chef-d’œuvre, la quête éternelle de l’absolu », dit sa petite- fille Anna Klossowski, fille de Thadée et de Loulou de la Falaise. Sur tout un pan de la galerie, Jeune fille à la mandoline, l’ultime toile du maître, à jamais inachevée, et propriété de Setsuko Klossowska, sa seconde épouse.
En face, cette œuvre et l’adolescente Anna Wahli, son modèle, se retrouvent dans une vingtaine de polaroïds auxquels Balthus a eu recours, n’étant plus en mesure d’exécuter ses dessins préparatoires. Jean-Olivier Desprès s’enthousiasme : « Il y a une fidélité incroyable à sa peinture, dans les cadrages, la lumière, la délicatesse. On est dans son œil. »
Le Quotidien (avec AFP)
Jusqu’au 28 février.