Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Notre série sur les métiers de l’acier s’achève. Place à l’ultime étape, avant l’envoi aux clients : le contrôle du sondeur.
Sur son casque, Serge Jochheim a collé une étiquette : «Capitaine du bateau». Pourtant, il est le seul matelot dans son petit local d’ArcelorMittal à Rodange, à l’écart du vaisseau de l’usine. Un trait d’humour, probablement, par rapport à cet isolement. Dans un coin de l’atelier, le micro de la production crache ses injonctions. La mission est périlleuse : ausculter une dernière fois l’acier, avant l’envoi au client. «Un acier creux, fissuré en interne, ou un défaut quelconque : nous sommes responsables vis à vis du client», lâche l’ouvrier de 39 ans.
Serge fait partie d’un ensemble de métiers de la chaîne «contrôle qualité». Certains ateliers sont violents : ils consistent en des tests de résistance en situation réelle de l’acier (chaleur, pression, etc.) Le rôle de Serge est plus fin. Il ausculte comme un médecin des échantillons prélevés au hasard dans la chaîne de production. «Je fais surtout des rails (NDLR : trains, tram, pont roulant), car c’est la spécialité de Rodange. Mais je vérifie parfois des pièces d’éolienne, de la poutrelle…»
La comparaison avec le médecin n’est pas abusive. Pour vérifier les défauts de l’acier, Serge Jochheim se sert d’une sonde à ultrasons. L’appareil ressemble à un stéthoscope pour l’industrie lourde. «Je pose des palpeurs sur le produit : la sonde envoie un ultrason. Si le retour n’est pas bon… Ça se joue au millimètre près.»
Serge, le médecin de l’acier
Impressionnant, étant donné que les produits en question, des rails pour le métro de New York par exemple (eh oui !), mesurent parfois plusieurs mètres de long ! «Le maximum que l’on peut faire à Rodange, c’est 36 mètres, précise-t-il. Mais nous avons un sacré catalogue, ce qui plaît beaucoup aux clients. Je dis toujours que Rodange, c’est la quincaillerie où n’importe quel pays trouve le rail qui lui faut pour son train, tram, ou je ne sais encore…»
Le site de Rodange est spécialisé dans le rail. Les expéditions ? Métro de Mexico, tram de Tunis, rails de rechange pour le métro de New York…
Le contrôle manuel correspond à une procédure très poussée. «Nous avons une machine automatisée qui permet de faire un premier tri. La sonde manuelle sert à confirmer certains défauts précis.» Si un lot de 200 rails doit partir, Serge va par exemple en prélever une vingtaine. Si la machine détecte des problèmes (qui évidemment ne sont pas visibles à l’œil nu), Serge passe à la sonde manuelle. «Notre façon d’assurer la qualité du produit est unique. Avec d’autres producteurs d’acier, le contrôle se fait souvent par un sous-traitant de l’entreprise qui achète. Nous, on assure le produit jusqu’au bout.» Les enjeux sont colossaux. «Un rail de pont roulant pour chargement de bateau, par exemple, imaginez si ça casse… Ça peut chiffrer très lourd.» À Rodange, les retours sont très peu nombreux. «Ou plutôt, le client revient parce qu’il a été satisfait», sourit Serge, fier d’assumer ce rôle de «capitaine».
Hubert Gamelon
Des métiers, une passion
L’acier a une âme. Chez les sidérurgistes, c’est le terme qui désigne le cœur d’une poutrelle, la barre du «I» si vous préférez. On mesure l’âme de l’acier, on en teste la résistance, on la façonne pour réinventer les buildings, les voitures, le train, le monde. Cette série sur les métiers de l’acier nous a passionnés. Le fer reste une aventure extraordinaire au Grand-Duché; qu’on le sache, qu’on arrête d’en parler qu’au passé.
Combien de temps le miracle peut durer ? Lors de la dernière assemblée d’ArcelorMittal Luxembourg, le patron Alex Nick s’inquiétait de l’inégalité de traitement par rapport aux pays émergents quant aux normes environnementales. La protection de la planète, oui, mais pour tout le monde les mêmes règles! Sans quoi l’acier chinois gagnera forcément du terrain… Mais ne doutons pas. Les Luxembourgeois ont toujours su prendre le bon train au bon moment. L’acier est un secteur «en crise» depuis sa création, un défi permanent.
Début juin : première visite d’usine avec Yves, à Differdange.
Ce sont les talents rencontrés dans les usines locales d’ArcelorMittal qui nous font espérer : Benoît, les trois-huit à l’usine, dans la nuit face au brin de la coulée. Yves, une vie au parc de Differdange, les mains dans la mitraille. Nicoleta, chercheuse au centre de développement de Belval, parce que c’était son «destin». Et tant d’autres. On ne travaille pas dans la sidérurgie par hasard, comme on ne devient pas instituteur ou infirmier par défaut. Il y a beaucoup de passion dans les métiers de l’acier. Tout paraît petit et silencieux quand on quitte l’usine. C’est probablement pour cela qu’on ne la quitte jamais.
