D’accord pour solder une partie du patrimoine communal, mais pas à n’importe quel prix. L’élu de droite Emmanuel Lebeau vient de faire connaître sa position à la municipalité de manière quelque peu originale.
La Ville de Metz s’est lancée dans un vaste remembrement patrimonial. D’ici 2020, elle a pour objectif de revendre une partie de ses possessions qui n’ont aucun caractère particulier ou n’entrent pas dans ses prérogatives. Il en va ainsi des locaux commerciaux et de certains bâtiments sans grand intérêt pour la communauté : garages, grange, presbytère, logements vétustes et vacants. Au total, ces cessions immobilières devraient rapporter dix millions d’euros aux Messins.
« C’est la somme que nous visons », cible Gilbert Krausener. Membre de la majorité, l’élu supervise les opérations en tant que conseiller municipal délégué à la gestion patrimoniale. À ce titre, il a reçu il y a peu une proposition décapante d’un de ses homologues. Scrutateur infatigable de l’usage qui est fait des deniers publics, Emmanuel Lebeau (DVD) lui a transmis une offre d’achat en bonne et due forme pour l’un des immeubles appartenant à la Ville de Metz.
Fichée à l’embouchure d’En-Fournirue (2/4), donnant sur la place d’Armes, accolée à l’hôtel de ville, l’auguste bâtisse héberge la pâtisserie Jean. Ses propriétaires sont locataires des locaux depuis 1989. Ils payent depuis 2007 un loyer à la ville de 18 060 € par an (1 505 €/mois) et se sont portés acquéreurs de leur location dont le bail est arrivé à échéance le 30 juin dernier. « Une vente de gré à gré », précise Gilbert Krausener. Montant de la transaction : 450 000 €. Conformément à l’estimation des Domaines selon une délibération du conseil municipal de Metz datant de mai dernier. Mais qui ne prend pas en compte la valeur du pas-de-porte.
Pas d’appel d’offres. Pas de mise en concurrence. Un prix ferme et définitif.
C’est ce qui a fait tiquer Emmanuel Lebeau, même s’il n’y a aucune ambiguïté juridique sur la procédure choisie par la municipalité. L’élu ne comprend pas l’argument de vente pour un immeuble aussi bien situé et placé dans le périmètre historique défini par la municipalité dans le cadre de sa candidature Unesco : « Ce n’est pas n’importe quel élément du patrimoine et, vu sa situation, j’ai un doute sur l’évaluation de sa valeur. Le prix de vente me paraît mésestimé. »
Son doute s’est vite transformé en conviction. Du coup, pour prouver que le bien aurait pu être vendu à un tarif supérieur à 450 000 €, Emmanuel Lebeau s’est fendu d’une contre-offre à… 460 000 €. Plan de financement à l’appui, obtenu assez aisément auprès d’une banque. Avec un apport de 4 370 €, l’acquisition aurait pu se faire en souscrivant un crédit de 460 000 € sur quinze ans. Mensualité : 2 939 €.
En conséquence, pour lui, il est ainsi clairement établi que « l’immeuble aurait pu être vendu plus cher qu’il ne l’a été » puisqu’il est si facile de décrocher un emprunt pour l’acheter : « Vous n’obtenez pas un financement comme cela pour un bien sans valeur et celui-ci en a à mes yeux. » En fait, Emmanuel Lebeau souhaiterait que le bâtiment reste dans le giron de la Ville : « Pourquoi ne pas signer avec le locataire un bail emphytéotique tout simplement. Pourquoi brader un immeuble de cette qualité dont la façade et la toiture ont été rénovées par la Ville ? »
Parce qu’il s’agit d’une « décision politique », répond Gilbert Krausener qui ne considère pas « faire de cadeau à la pâtisserie Jean » : « Il faut bien voir que cet immeuble n’est pas forcément en bon état à l’intérieur. Les acheteurs s’engagent à le restaurer entièrement. Ils promettent d’injecter près de 900 000 euros. Ainsi, on s’assure que cet endroit ne deviendra pas une friche commerciale. Et puis, on a pris des garanties sur le projet. Ce sera vraiment un plus pour le centre-ville. »
Pas convaincu, Emmanuel Lebeau entend aller plus loin qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. Lors du conseil municipal qui se réunira jeudi prochain, il réclamera tout bonnement l’annulation de la vente. « Je ne veux pas qu’on liquide ainsi le patrimoine remarquable messin… », tance-t-il. Pas sûr qu’il soit suivi.
Thierry Fedrigo (Le Républicain Lorrain)