En France, le Sénat à majorité de droite entend corriger à partir de lundi le vaste projet de loi sur la transparence de la vie économique, notamment en limitant fortement sa mesure-phare sur la protection des lanceurs d’alerte.
Au cours du débat en première lecture qui va durer toute la semaine, nombre de sénateurs devraient suivre leur commission des lois qui a défini comme lanceur d’alerte toute « personne physique qui signale, dans l’intérêt général, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime, un délit ou une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement dont il aura eu personnellement connaissance ».
« Beaucoup de nos collègues se méfient des lanceurs de fausses alertes, qui risquent de porter préjudice à des intérêts publics ou privés », a justifié le président de la commission Philippe Bas (Les Républicains), selon lequel les lanceurs d’alerte doivent être « exemplaires ».
Et cet élu de la Manche de défendre « un point d’équilibre » prenant aussi en compte la démarche du lanceur d’alerte: « celui qui lance de fausses alertes ou qui viole la procédure s’expose à des sanctions ».
Considérant que « le lanceur d’alerte ne peut pas être totalement irresponsable quand il n’est pas de bonne foi », le rapporteur François Pillet (LR) a jugé à l’unisson qu' »il peut être redevable du préjudice qu’il a fait subir ».
Dans leurs modifications en commission, les sénateurs ont aussi supprimé la prise en charge par le Défenseur des droits d’une aide financière pour les lanceurs d’alerte.
La CFDT a dénoncé « un combat d’arrière-garde » du Sénat, l’accusant de « détricoter » le texte. La Cour de Cassation s’est opposée jeudi à la sanction prise à l’encontre d’un salarié, qui a dénoncé de bonne foi le président et des membres de son association.
La France veut « rattraper son retard »
La CGT des cadres (Ugict-CGT) de son côté a insisté sur la nécessité de « renforcer les dispositions protégeant les lanceurs d’alerte », en dénonçant « l’hypocrisie » des condamnations des lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks au Luxembourg ».
Autre point important du texte, la création d’une agence anticorruption est aussi sujette aux modifications des sénateurs. Dénommée « agence de prévention de la corruption » dans le texte du gouvernement, la commission a préféré l’appeler plus modestement « agence française anticorruption ». Surtout, elle a supprimé son pouvoir de sanction, déjà limité, pour le renvoyer à la justice. En revanche, elle l’a confortée dans sa mission de contrôle et de prévention.
Le projet de loi prévoit aussi l’encadrement de l’activité des lobbies, qui devront déclarer leurs activités dans un répertoire numérique pour rencontrer ministres, membres de cabinet, parlementaires ou hauts fonctionnaires.
Mais, pour chaque pouvoir public constitutionnel, le président de la République, les deux assemblées, et le Conseil constitutionnel, « le principe de séparation des pouvoirs impose le respect de leur autonomie dans la détermination et le contrôle des règles qu’ils fixaient » dans ce domaine, aux yeux de la majorité du Sénat.
Quant à l’emblématique mesure sur la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, les sénateurs veulent proposer un vote triennal sur la politique de rémunération, un vote sur la rémunération des dirigeants après leur nomination et une délibération annuelle sur cette rémunération.
Comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas, et comme envisagé par une directive européenne à l’horizon 2018, le projet de loi prévoit jusqu’alors de rendre « souveraine » la décision de l’assemblée générale des actionnaires. Mais pas d’encadrer stricto sensu les rémunérations dans la loi.
Le projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », porté par le ministre des Finances Michel Sapin, vise à permettre à la France de « rattraper son retard » en matière de lutte anticorruption.
Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée (une seule lecture par chambre), le texte fera ensuite l’objet d’une commission mixte paritaire chargée de trouver une version commune aux deux chambres. En cas de désaccord, l’Assemblée aura le dernier mot.
Le Quotidien / AFP