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Fonction publique européenne : « L’âge d’or est derrière nous »


Rien qu'à la Commission, près de 200 personnes travailleraient pour un salaire inférieur au minimum légal au Luxembourg. Un dumping social «inacceptable», estime le président de l'USL. (photo Alain Rischard)

Depuis plusieurs années, un loup s’est introduit dans la bergerie de la fonction publique européenne : l’agent contractuel, déplore Miguel Vicente Nuñez, le président de l’Union syndicale Luxembourg (USL). Être payé en dessous du salaire minimum, au Luxembourg? Dans les institutions européennes, c’est possible, dénonce le syndicaliste, qui s’inquiète d’une précarisation et d’une perte d’attractivité croissante du second employeur du Grand-Duché.

Le Quotidien : En 2004, une grande réforme de la politique du personnel européen a permis à l’UE d’économiser plusieurs milliards d’euros, grâce à une hausse croissante du nombre d’agents contractuels (AC). Pourquoi le déplorez-vous?

Miguel Vicente Nuñez : Le législateur n’avait certainement pas prévu un recours aussi effréné aux contractuels. Depuis 2004, le nombre d’AC a explosé, on en compte désormais près de 10 000, tandis que de nombreux postes de fonctionnaires n’ont pas été remplacés, engendrant une perte de qualité de la fonction publique européenne.

Le poste d’agent contractuel est beaucoup moins avantageux…

En effet. Pour un fonctionnaire, l’échelle des traitements s’échelonne d’environ 2 300 euros par mois à quelque 16 000 euros pour les hauts fonctionnaires les plus gradés. Mais ces derniers sont une minorité, ils représentent, à la Commission, peut-être 300 personnes.

Pour les AC, l’échelle va de 1 848 à 6 600 euros. Beaucoup sont donc en situation de précarité. Les plus précaires, les agents d’assistance administrative et technique, voient leur grille de salaire commencer plus bas que le salaire minimum luxembourgeois (NDLR : qui est de 1 922,96 euros bruts pour les travailleurs « non qualifiés » et de 2 307,56 euros pour les « qualifiés »). Au Luxembourg, 300 personnes sont concernées, dont 200 rien qu’à la Commission. Cela fait beaucoup de précaires. C’est une situation inacceptable.

Cette précarité est d’ailleurs plus grande au Luxembourg qu’en Belgique. Comment l’expliquez-vous?

C’est à cause d’une disparité de pouvoir d’achat. La première étude sur le sujet, qui remonte à 2005, montrait déjà une disparité de 5,8 % en faveur de Bruxelles. Cela n’a fait que se détériorer. Cette disparité est désormais de 8,1 %. On essaie donc de faire prendre conscience aux autorités politiques luxembourgeoises et européennes qu’il est urgent d’instaurer un coefficient correcteur pour l’arrondissement de Luxembourg, qui permettrait de compenser cet écart. Car son inapplication constitue une violation du principe d’égalité de traitement du personnel.

Écart qui est lié, on imagine, au marché immobilier luxembourgeois?

En effet, l’écart de pouvoir d’achat est provoqué par les prix élevés du logement au Grand-Duché. Sans le logement, la disparité serait d’ailleurs proche de zéro. C’est pour cela que plus de 30 % des AC qui travaillent au Luxembourg habitent en dehors du pays, à Trèves, Arlon…

Les fonctionnaires sont-ils également mieux lotis en Belgique?

J’aurais tendance à dire oui. Il vaut mieux être à Bruxelles, à cause du meilleur pouvoir d’achat, mais aussi parce qu’on est plus proche du cœur du pouvoir, des institutions. Donc en termes de déroulement de carrière, de mobilité, et de choix de poste, c’est plus favorable.

Cette perte d’attractivité du Luxembourg occasionne-t-elle une pénurie de personnel qualifié?

En février 2015, un accord conclu entre le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, et Kristalina Georgieva, vice-présidente de la Commission en charge du Budget, devait aider à renforcer les services de la Commission à Luxembourg, au niveau des pôles « juridique, financier et numérique ». Mais on attend toujours un résultat. Car l’accroissement des effectifs pour ces trois pôles devra nécessairement passer par la réaffectation de collègues de Bruxelles. Mais chez nos amis belges, il y a une levée de boucliers des syndicats, et même du personnel.

On les comprend, non?

Il y a en effet des intérêts divergents. Nous, évidemment, on veut défendre le Luxembourg, ses institutions, son personnel. Donc on aimerait que ces trois pôles se développent, mais on demande que des mesures d’accompagnement soient prises, notamment en matière de parité de pouvoir d’achat, pour motiver les collègues belges. Sinon, ils ne viendront ici que forcés, et cela, personne ne le veut…

Ce problème de parité de pouvoir d’achat a-t-il occasionné des conflits juridiques?

Oui. L’USL soutient un dossier au Tribunal de première instance de l’UE. Il s’agit d’un agent contractuel originaire de Roumanie, et qui a rencontré des difficultés à trouver un logement décent. Il demande donc l’instauration d’un coefficient correcteur. Pour l’instant, cette affaire n’avance pas.

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Romain Van Dyck

Entretien à lire en intégralité dans Le Quotidien du lundi 27 juin.

Bio express

Miguel Vicente Nuñez est né en Espagne en 1953. Il vit au Luxembourg, est marié et père de deux enfants. Ses parents étaient des travailleurs migrants, qui se sont installés en Belgique dans les années 60. Membre de l’Union syndicale Luxembourg (USL) depuis 2003, il en deviendra secrétaire général, puis président depuis mai 2014.
L’USL compte «un petit millier d’adhérents dans les institutions, dont 450 à la Commission. Cela fait de nous la plus grande organisation syndicale de fonctionnaires européens au Luxembourg», affirme-t-il.