A une époque où les cultures sont de plus en plus en conflit, le compositeur américain Mohammed Fairouz veut que sa musique devienne un pont entre les peuples et croit que la poésie peut changer le monde.
Mohammed Fairouz pendant une interview, le 23 janvier 2015 à New York. (Photo : AFP)
A 29 ans, ce musicien prolifique qui mêle des éléments islamiques à la musique classique occidentale, publie son nouvel album, « Follow, Poet » (Suis, Poète) inspiré de poèmes des géants de la littérature du XXe siècle W.H. Auden et Seamus Heaney. « Pour faire la guerre, vous devez déshumaniser l’adversaire, c’est connu. C’est beaucoup plus difficile de déshumaniser des gens si vous aimez leur musique et leur poésie », dit-il lors d’une rencontre dans un studio d’enregistrement de New York.
« Je ne crois pas qu’on puisse parler de guerre des civilisations », dit-il en référence à l’Occident et à l’Islam, « mais une guerre serait terrible pour les deux civilisations ». Fairouz, un Américain dont la famille vient de plusieurs parties du monde arabe, pense poésie même lorsqu’il compose. Ses notes sont comme des mots qui ne sont pas chantés et dont il est le seul, avec les musiciens, à connaître le sens, dit-il. Avec « Follow, Poet », Fairouz est le plus jeune compositeur à enregistrer un album complet pour le label de musique classique Deutsche Grammophon, vieux de 115 ans. En plus des poèmes de Auden et Heaney, on peut y entendre la voix de John F. Kennedy, qui dit : « Quand le pouvoir corrompt, la poésie nettoie. »
Dans un des morceaux phares de l’album, « Sadat », Fairouz évoque l’ancien président égyptien assassiné. La première du ballet qui en est tiré, en cinq actes, aura lieu au Carnegie Hall le 26 mai. « Audenesque », une exploration musicale de la poésie de l’Anglo-Américain Auden, sera chanté le 23 février par la mezzo-soprano Kate Lindsey au club new-yorkais Le Poisson Rouge. Ancré dans la tradition occidentale, le travail de Fairouz regarde aussi du côté de la mélodie Maqam, une forme d’improvisation vocale ou instrumentale qui sous-tend la musique classique moyen-orientale.
> Le monde des « hommes blancs morts »
Sa vision de la musique a été transformée lors d’un voyage à Karachi, au Pakistan, dit-il, quand il a vu se produire les fakirs sindhi dont la musique lui fait penser à l’opéra. Fairouz, qui choisit méticuleusement ses mots, estime qu’il est important d’être une « entité cosmopolite » dans un monde toujours plus connecté mais que son approche n’est pas bien vue dans le milieu de la musique classique. « Je ne suis pas intéressé, comme certains voudraient que je le sois, par le seul monde des hommes blancs, et des hommes blancs morts, dans l’art de composer. Si nous ne vivons pas déjà dans un monde post-colonial alors on doit y arriver très vite, parce que l’alternative est dangereuse. »
Fairouz travaille actuellement sur deux opéras dont l’un sur l’ex-Premier ministre pakistanaise Benazir Bhutto, un autre exemple de sa fascination pour les puissants assassinés. Une autre pièce, « Locales », qui explore en musique Beyrouth, Abou Dhabi, Paris, Londres et New York, a été présentée pour la première fois samedi avec l’hautboïste Ian Shafer au Carnegie Hall à New York. Fairouz veut que chacun s’exprime davantage mais émet des réserves après le massacre à Paris, qu’il condamne, des journalistes de Charlie Hebdo. Quiconque a une connaissance basique de l’islam comprendrait combien le fait de représenter le prophète Mahomet est une question sensible chez les musulmans, dit-il.
« Nous ne devrions pas être dans une compétition sur celui qui offensera le plus l’autre. Nous devrions discuter de comment s’asseoir autour d’une table et avoir une conversation constructive. » « Les mots peuvent être vides de sens, mais ils peuvent aussi empêcher des armées de marcher l’une contre l’autre et provoquer la mort de millions de gens. »