Notre série sur les métiers de l’acier se poursuit. Après l’étude de l’aciérie, place à un poste central de l’usine : le laminoir. Le laminoir est un poste clef : c’est ici que le produit intermédiaire, après déformation, devient produit fini. Reportage à Belval.
Le mot évoque une opération violente. «Laminer : rogner quelque chose, le diminuer, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus grand-chose», indique le Larousse, au sens figuré. Au laminoir de Belval, l’opération prend tout son sens… propre évidemment. «Faire subir à un produit, en général métallique, une déformation permanente par passage entre deux cylindres.» Et comment !
En réalité, aucun mot ne suffit à décrire le terrible laminoir. Une odeur peut-être : celle du fer que l’on bat, âcre, tenace, brûlant les narines dès que l’on s’en approche.
À l’entrée des cages, le «BB» (beam blank) mesure cinq mètres de long. C’est une poutrelle rougeoyante, à peine sortie de la coulée, qui vient d’être réchauffée dans un four à 1 300 degrés. Pour les ouvriers, elle impressionne si peu qu’ils l’appellent «os de chien». Question de forme aussi, car le produit est mal dégrossi. À la sortie, cinq minutes après, l’os a déjà bien grandi : jusqu’à 70 mètres de long! De 45 cm de hauteur à l’entrée, il s’affine jusqu’à 8 millimètres, une prouesse !
Julie Malherbe : «Se sentir une équipe»
Marteler l’acier est un métier d’homme, pense-t-on en observant les ouvriers tatoués d’ArcelorMittal. Raté. À Belval, la responsable du «train 2» (ainsi nommé à cause des allers-retours du produit entre les cylindres) s’appelle Julie Malherbe. La trentaine, tignasse blonde sous le casque, la Française, native d’une région «où l’on ne connaît pas l’acier», aime ce métier pour ce qu’il est : «Se sentir une équipe (NDLR : elle supervise 110 salariés), la fierté de relever des challenges, celle de voir tout le monde rentrer à la maison sans blessé aussi.» Le laminoir est un endroit dangereux. Pourtant, on n’y compte plus guère d’accidents, tant les ouvriers font attention. Chacune des quatre cages à cylindres est surmontée d’une cabine de pilotage. De larges écrans permettent d’avoir un œil sur tout le laminoir. Les opérations les plus risquées sont les changements de cylindres : «Nous parlons en termes de « campagne », explique Julie Malherbe. Toutes les 1 500 tonnes, une campagne s’est écoulée et les cylindres doivent être refaits.»
Malgré l’arrosage permanent des installations, la chaleur déforme même les cylindres les plus robustes. ArcelorMittal répare les rouleaux sur place, pour ne pas en dévoiler les formes, parties intégrantes du secret industriel. «Même quand nous recevons les cylindres de nos constructeurs partenaires, leur forme n’est pas définitive, glisse Julie. Nous les redessinons sur place, selon notre catalogue et nos techniques.» La jeune ingénieur a choisi la sidérurgie pour cela : «Le process de cette industrie est l’un des plus fascinants. Les laminoirs de Belval sont centenaires et pourtant nous ne cessons jamais d’innover. Lors du lancement d’un nouveau produit, nous restons parfois une journée et une nuit à l’usine… Je ne me vois pas travailler ailleurs !»
Vous reprendrez bien un peu de palplanche ?
Que lamine-t-on à ArcelorMittal Belval ? Des deux trains de laminage sortent deux produits : la poutrelle et surtout la palplanche. Le sidérurgiste est leader mondial dans ce dernier domaine. L’usine vient de mettre K.-O. son dernier concurrent européen en 2015, Hoesch-Dortmund. Le train 2, consacré à la palplanche, s’étale sur des centaines de mètres. Ce produit «de niche» peut se décrire comme une fine paroi d’acier qui s’enclenche à une autre grâce à un système étanche de crochets.
«Les industriels s’en servent dans les chantiers, explique Julie Malherbe. Les parois servent à retenir la terre et à dégager une excavation bien nette pour travailler.» Les ouvriers peuvent alors les déplacer selon les besoins. C’est toute la polyvalence de l’acier par rapport à son éternel concurrent, le béton, qui reste figé.
Dans une version plus définitive, les palplanches servent à isoler les ports ou les bords de route, comme c’est le cas entre Rodange et Luxembourg, le long de l’E44 (parois rouges). ArcelorMittal Belval est le seul producteur capable de livrer une vingtaine de types de palplanches différentes, dont les fameuses 800 mm, les plus larges du marché. L’usine a connu un début d’année plombé par l’écoulement à prix fracassé du stock de Hoesch-Dortmund. «Les choses vont beaucoup mieux, rassure Julie Malherbe. L’objectif 2016 reste de laminer 45 000 tonnes par mois sur le train, et c’est bien parti.»
Hubert Gamelon