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[Roland-Garros] Gilles Muller : « Le seul tournoi où je ne me dis pas : je vais le gagner »


Le gaucher Gilles Muller, 33 ans, est 42e au classement ATP. (photo Julien Garroy)

Gilles Muller a pris mercredi la route de Paris où il disputera, la semaine prochaine, Roland-Garros. Avant son départ, il a accepté de répondre à nos questions.

Le Quotidien : Vous nous disiez la semaine dernière que votre tendinite au poignet gauche n’était plus qu’un mauvais souvenir. Vous êtes donc à 100% au moment d’aborder Roland-Garros?

Gilles Muller  : Oui, je suis apte à 100  %. Lorsque j’ai repris la raquette, je ressentais encore quelques raideurs, mais depuis jeudi, il n’y a plus aucune gêne.

Dès lors, pourquoi ne vous êtes-vous pas inscrit cette semaine au tournoi de Genève, histoire d’avoir quand même un petit match dans les jambes?

On y a pensé. Forcément, cela aurait été bien de jouer une ou deux rencontres, mais ce n’est pas compatible avec mon programme. Après le deuxième Grand Chelem de la saison, je n’aurai quasiment plus une semaine de repos avant les jours qui précéderont les Jeux olympiques de Rio (du 6 au 14  août). Je vais enchaîner sur gazon avec les tournois de s-Hertogenbosch, du Queens, de Nottingham et Wimbledon. Ensuite, il y aura peut-être la Coupe Davis en juillet contre la Norvège. Et si je n’y prends pas part, je serai inscrit à Newport et Washington, avant Toronto.

Et juste derrière les JO, cela risque d’être pareil jusqu’à l’US Open. Donc, à partir de Roland, je serai pratiquement chaque semaine sur les courts. On a dès lors décidé de plutôt profiter de ces derniers jours pour continuer à bosser à la maison, histoire de garder le maximum de fraîcheur possible.

Qu’attendez-vous de Roland-Garros?

La saison dernière, je n’avais pas beaucoup plus joué que cette année sur terre battue avant d’aborder Paris. J’avais pris part à deux tournois, pour quatre matches, alors qu’ici, il n’y a eu qu’un tour disputé du côté de Monte-Carlo (NDLR  : une défaite face à Monfils). Mais je pars en France avec beaucoup de confiance, vu mon bon niveau à l’entraînement et le fait que je me sens frais.

En même temps, Roland-Garros, c’est peut-être le seul tournoi de l’année où je ne me dis pas  : « Je vais le gagner. » Cette surface ne me convient pas, je n’arrive pas bien à développer mon jeu, même si je peux inquiéter n’importe qui sur un match. Je donnerai, en tout cas, mon maximum.

Cela fait maintenant un an et demi que vous jouez le meilleur tennis de votre carrière. Mais si on excepte l’Open d’Australie 2015 et votre huitième de finale face à Djokovic, vous ne parvenez pas à matérialiser votre bon niveau sur les tournois du Grand Chelem…

C’est vrai, j’ai fait 2 e tour à Roland, 1 er tour à Wimbledon et à l’US Open et 2 e tour en Australie en janvier. Je n’ai pas su faire fructifier le niveau que j’affichais dans les autres tournois.

J’étais vraiment en super forme pour Wimbledon et Flushing Meadows, mais je n’ai pas su gérer la pression que je m’étais placée moi-même sur les épaules. À New York, j’ai d’ailleurs sans doute vécu ma plus grosse déception depuis très longtemps (NDLR  : battu face au Belge Bemelmans). Car j’étais prêt comme jamais…

Par contre, en début d’année, je pense avoir livré un bon tournoi à Melbourne, compte tenu des circonstances. Mon coach, Jamie Delgado, venait de m’annoncer qu’il partait (NDLR  : pour rejoindre l’équipe d’Andy Murray) et j’étais plongé en plein réflexion à ce niveau-là. Derrière, j’ai sorti une tête de série (NDLR  : l’Italien Fognini), avant de perdre face à un Australien qui s’est enflammé devant son public.

Pour le reste, je ne pense pas avoir de souci avec les tournois du Grand Chelem et je suis sûr que je peux faire mieux que l’an dernier.

Est-ce que vous ne réfléchissez pas un peu de trop sur le terrain et, qu’à certains moments, cela vous porte préjudice?

On m’a déjà fait cette remarque et je bosse avec un préparateur mental pour essayer de corriger ça. Quand on commence le tennis, qu’on est jeune, on est un peu « foufou ». On n’a peur de rien. Et avec l’âge, on perd un peu ça. L’excitation d’affronter un joueur du top sur un grand terrain est toujours présente. Mais aujourd’hui, je sais que je suis capable de battre un tel adversaire. Et le fait de le savoir et de me le dire, je me mets parfois plus la pression. Il faudrait que je parvienne à prendre les choses de manière plus cool… Et ça, même si d’un autre côté, je sais aussi que je suis plus proche de la fin de ma carrière que du début. Je n’ai plus dix ans pour réussir ce que j’ai envie de faire. Comme gagner un ou plusieurs titres.

Une tendinite, comme celle que vous avez connue au poignet, peut durer. Vu vos antécédents en matière de longues blessures, vous avez eu peur à un moment donné?

Un sportif a toujours peur quand son corps ne fonctionne pas à 100  %. Donc, forcément, oui. Je ne savais pas tapé un coup droit sans souffrir… Mais j’ai été vite rassuré. Je n’ai pas joué au mec fort qui joue en ayant mal. Je connais mon corps. Et quand on m’a parlé de tendinite, je n’ai pas été plus inquiet que ça.

Le départ de votre entraîneur anglais Jamie Delgado en début d’année a-t-il changé quelque chose?

Ce fut un grand chamboulement en raison du timing. On était en plein début de saison et cela a ajouté pas mal de stress. Il a fallu s’organiser très vite. Tout a été réglé en trois jours, puis on est repartis directement en tournoi.

Après on bosse toujours de la même façon et la ligne de conduite est restée la même. Avant, Jamie Delgado et Alexandre Lisiecki, qui s’occupait de moi au Luxembourg, travaillaient en binôme. Aujourd’hui, la seule différence est qu’Alex m’accompagne sur tous les tournois. On a su gérer ça au mieux.

Vous avez aujourd’hui 33  ans, cela ne devient pas trop dur de partir à l’étranger pendant de longues semaines en laissant votre famille à la maison?

C’est toujours dur. Surtout après une longue période à la maison, comme ce fut le cas ces dernières semaines. Je sais déjà que cela va être difficile ce mercredi (aujourd’hui), quand je vais partir pour Paris… Mais en même temps, avec mon épouse, cela fait 14  ans que nous sommes ensemble. Elle n’a donc connu que ça. Et puis, on sait que je ne ferai plus du tennis de haut niveau pendant dix ans.

Mes deux garçons (NDLR  : qui ont 4 et 5 ans) m’accompagnent de temps en temps en tournée. J’ai toujours dit que j’aimerais jouer jusqu’au moment où ils comprendront exactement ce que je fais.

Vous avez dit que vous comptiez encore continuer deux, trois ou quatre ans. Il n’y a aucune relève derrière vous. Vous n’aimeriez pas avoir quelqu’un à qui vous pourriez transmettre votre vécu?

Si, j’aimerais bien, forcément. Je voudrais bien continuer à travailler dans le tennis après ma carrière. Pouvoir contribuer à la formation de jeunes Luxembourgeois, à leur permettre de se dépasser. Le Luxembourg regorge de talents, mais on n’arrive pas à les faire progresser. Il y a pas mal de freins disséminés un peu partout sur leur parcours et j’aimerais aider à les faire disparaitre. Mais le boulot est énorme!

Je fais partie d’une génération assez incroyable  : Mike Scheidweiler, Laurent Bram, Gilles Kremer, Frank Eicher (qui est aujourd’hui mon préparateur physique). Une génération où il y avait tellement de joueurs sur le circuit qu’on en avait trop pour former l’équipe de Coupe Davis. Sans oublier les filles… C’était du jamais vu. On en est loin aujourd’hui.

Comment expliquer le trou qu’il y a derrière vous?

Il faut poser la question aux gens de la fédération… Avec tout ce qu’il y avait à cette époque, le fait qu’ils n’ont pas réussi à promouvoir le tennis comme il le fallait est un gros problème.

Auriez-vous envie de vous engager, après votre carrière, pour essayer de changer ça?

Franchement, oui. Le tennis m’a donné énormément et j’aurais envie de redonner ça à d’autres. Après, il faudra que des choses changent. Je n’aimerais pas travailler avec des gens qui vous mettent des bâtons dans les roues ou des personnes qui prennent des décisions alors qu’ils n’ont pas vraiment les connaissances pour le faire.

Julien Carette