À bientôt 70 ans, l’Américaine Patti Smith continue de regarder sa vie et de la raconter. C’est dans M Train, un livre sincère et mélancolique en dix-huit chapitres, comme autant de stations.
Au fil du temps, elle a eu à droit quelques surnoms –«l’icône punk» ou encore «la légende rock»– ce qui est historiquement faux. Patti Smith est chanteuse et musicienne de rock, poète, peintre et photographe. Si son dernier album date de 2012, son nouveau livre vient de paraître.
S’il faut donner un surnom à Patti Smith, qui aura 70 ans le 30 décembre, ce serait plutôt «marraine du grunge» (le Canadien Neil Young en serait le parrain), mais ça pose problème. En effet, l’Américaine née à Chicago ne s’est jamais considérée comme une musicienne ou une chanteuse, même si elle a réussi le coup parfait dès son premier album, Horses (1975).
Mieux, postadolescente, elle a débarqué à New York où ses nourritures culturelles furent assurées par William Burroughs, Allen Ginsberg, Sam Shepard, Gregory Corso – quelques pointures de la «beat generation». Souvent, elle a dit aussi avoir eu son premier coup de foudre littéraire avec un petit bouquin acheté en format poche : Les Illuminations, d’Arthur Rimbaud.
Avec de telles fréquentations, normal qu’un jour elle signe un livre. Ce fut en 2010 avec la parution du formidable Just Kids . Puis il y eut Glaneurs de rêve (2014), et, ce printemps, nous arrive M Train.
Un texte en dix-huit chapitres avec, en incipit, des mots définitifs : «Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien.» Alors, se lançant dans cette aventure au long cours qu’est l’écriture d’un livre, la Rimbaldienne a convoqué ses bons génies tout en rappelant cette vision qu’elle eut un jour en entrant dans un café, dans un rêve : «Le cow-boy… vaguement bel homme, intensément laconique, il se balançait dans un fauteuil pliant, le dos calé contre le dossier, son Stetson effleurant l’angle extérieur brun foncé d’un café isolé. Je dis isolé car il semblait n’y avoir rien d’autre qu’une pompe à essence antédiluvienne et un abreuvoir rouillé…» Dans ces habits de cow-boy, on imagine Sam Shepard…
Un peu plus tard, Patti ouvre les yeux, se lève et, d’un pas chancelant, va dans la salle de bains. Elle s’asperge le visage, enfile des bottes, attrape un bonnet et un manteau noir, glisse vers un café de Bedford Street dans Greenwich Village, à New York. Le décor est planté – magnifiquement. On monte alors dans le M Train – départ pour dix-huit stations en autant de chapitres.
«La carte de mon existence»
Premier arrêt : le Café ‘Ino (aujourd’hui disparu) avec ses quatre ventilateurs qui tournent au plafond, un cuisinier mexicain, un gamin prénommé Zak qui apporte à la narratrice sa commande habituelle – «un toast de pain complet, un ramequin d’huile d’olive et du café noir. Je me replie dans mon coin, sans enlever ni mon manteau ni mon bonnet. Il est neuf heures du matin…». Noms des stations suivantes : Biscuits en forme d’animaux; La puce pompe le sang; Roue de la fortune; Elle s’appelait Sandy; Démons de la tempête ou encore La vallée des Disparus… Des stations pour des tranches de vie. D’une vie.
M Train, c’est «la carte de mon existence», précise Patti Smith. Elle y évoque, y raconte voyages, rêves, lectures, rencontres… Dans les pages, au hasard des chapitres et des stations, on croise sa famille. Son mari, Fred «Sonic» Smith, mort le 4 novembre 1994 à 45 ans. Et aussi son panthéon littéraire – avec Arthur Rimbaud, Jean Genet, Yukio Mishima, William Burroughs, Roberto Bolaño, Sylvia Plath…
Jamais, à la lecture, on ne sent le marketing. C’est empli de mélancolie, d’une pointe de tristesse, d’une once de beauté stylistique. C’est aussi empli d’une formidable (et rare) sincérité – sans jamais laisser la moindre place à l’exhibitionnisme et/ou au voyeurisme. Adolescente, Patti Smith avait un rêve : être, un jour, publiée. C’est fait, d’abord et surtout parce qu’elle est un grand écrivain. Qui confesse : «J’ai écrit toute ma vie. Pour moi, c’est comme respirer. C’est mon destin, mon heureuse malédiction.»
Serge Bressan
M Train, de Patti Smith. Gallimard.