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Le grand flou du logement étudiant [dossier]


Le nombre de chambres et de studios réservés aux étudiants est en constante augmentation, mais jusqu'ici personne n'étudie le phénomène. L'offre risque-t-elle de dépasser la demande? La question se pose. (photo Isabella Finzi)

Avec le développement de l’université à Belval, on voit logiquement arriver de nombreux logements étudiants construits avec de l’argent public et privé. Mais tout cela, sans grande coordination.

L’Agence d’urbanisme et de développement durable Lorraine Nord (Agape), dont font désormais partie les onze communes de ProSud, a dressé un constat très intéressant.Le nombre de logements étudiants explosent ces dernières années, y compris au-delà des frontières françaises, voire belges. À l’heure actuelle, près de 2200 logements sont déjà créés ou sur le point de l’être. C’est déjà beaucoup.

En installant l’université à quelques dizaines de mètres de la France, on ne peut pas s’étonner qu’il émane d’elle de facto un caractère transfrontalier. Sa dimension internationale – elle est l’une des championnes mondiales en la matière – n’en est que renforcée.

Par définition, et sauf exception, les étudiants ne sont pas (encore) des citoyens fortunés. La question du logement est essentielle : il s’agit généralement du poste de dépense principal des universitaires. À plus forte raison dans un pays où le coût de l’immobilier est particulièrement élevé.

logement

Il est donc logique de voir fleurir une offre qui ne cesse de s’étoffer dans les environs des deux pôles universitaires que sont Luxembourg et Belval. Jusqu’à présent, le principal pourvoyeur de logements destinés à cette clientèle spécifique est l’université elle-même. Son service logement collabore avec des propriétaires privés ou institutionnels (communes, Fonds du logement…) pour proposer des chambres, studios ou appartements. « Le plan quadriennal qui court jusqu’en 2017 stipule que nous devrons gérer un parc de 1 300 unités », explique Marc Rousseau, coordinateur de ce service.

Une progression constante

Aujourd’hui, l’université propose 819 logements, dont les deux tiers dans le sud du pays. S’il apparaît que l’objectif fixé ne sera sans doute pas tout à fait atteint, le total va toutefois augmenter. « La résidence Parc du moulin, dans la rue du Canal à Esch-sur-Alzette, va ouvrir en septembre prochain avec 63 chambres », précise-t-il. Et si le gouvernement ne réfléchissait pas à réaffecter l’ancien centre intégré pour personnes âgées (CIPA) de Soleuvre à l’accueil des demandeurs d’asile plutôt qu’à celui des étudiants, l’offre compterait 124 chambres de plus.

Mais au fait, a-t-on besoin de tant de logements étudiants que cela? Le taux d’occupation des unités d’habitation allouées par l’université, 96 %, tend à le prouver. « À la rentrée, lorsque la demande est la plus élevée, nous ne pouvons pas satisfaire à toutes les demandes », confirme Marc Rousseau. Ce simple constat suffit à motiver l’engouement des décideurs. À Esch, Belval et Sanem, les livraisons réglées par des fonds publics se succèdent à un rythme régulier. Differdange ne cache pas non plus son rêve de devenir une ville étudiante et a ouvert, en novembre dernier, sa première résidence avec le Fonds du logement (37 logements). Dudelange et Bettembourg comptent déjà quelques chambres.

Les investisseurs privés sont également lancés. Juste en face de la Maison du savoir (le bâtiment principal de l’université à Belval), le grand groupe de BTP français Eiffage est en train de bâtir la résidence Galiléo, 176 logements en tout. Il est le premier promoteur privé à lancer un projet de ce type.

«Un vrai travail de fond à mener»

Cet engouement a intéressé l’Agape qui, en tant qu’agence d’urbanisme transfrontalière, pose un regard neuf sur ce type de question. Sans s’embarrasser du tracé des frontières, l’agence a recensé le nombre de logements étudiants existants et projetés. « Sur un territoire compris entre Arlon, Luxembourg, Thionville et Longwy (NDLR : voir l’infographie ci-dessous ), notre observatoire Habitat, qui réalise une veille permanente, a comptabilisé 1 356 logements existants et 842 en projet, soit 2 198 en tout », a calculé son directeur, Aurélien Biscaut.

Certes, toutes les chambres ne sont pas vouées à accueillir des étudiants de l’université du Luxembourg (il y a des IUT à Longwy et Thionville, le campus de l’université de Liège à Arlon…), mais le chiffre est déjà considérable.

Dans leur Observatoire lorrain de l’enseignement supérieur et de la vie étudiante publié en avril 2014, les agences d’urbanisme de Metz (Aguram) et de Nancy (Aduan) notaient qu’en Lorraine seuls 11,3 % des étudiants logeaient dans des cités ou foyers universitaires (42 % sont chez leurs parents, 27 % vivent seuls…). La moyenne française est de 7,1 % d’étudiants vivant dans des logements étudiants.

L'offre devient foisonnante, mais personne n'a pris le temps d'analyser les besoins. (photo Isabella Finzi)

L’offre devient foisonnante, mais personne n’a pris le temps d’analyser les besoins. (photo Isabella Finzi)

Rien qu’au Grand-Duché, l’Agape a recensé 1 593 logements étudiants réalisés ou planifiés. Sachant que l’université compte 6 100 étudiants et qu’elle n’en visera pas beaucoup plus de 7 000 à moyen terme, on voit que l’offre est et sera très importante.

« Ce qui nous a frappés, c’est que personne n’a évalué les besoins au-delà des limites de son pays, reprend Aurélien Biscaut. Alors que des résidences sortent de terre régulièrement, y compris en France (lire encadré) , il y a un vrai travail de fond à mener pour connaître la typologie des étudiants, l’état du marché et celui de la concurrence. »

Si, aujourd’hui, le marché n’est pas encore saturé et que la demande satisfait l’offre, qu’en sera-t-il dans les prochaines années? Si jamais l’université venait à ne plus trouver d’étudiants pour les logements qu’elle gère, elle aurait de gros soucis : c’est en effet elle qui, par contrat, garantit le versement du loyer aux propriétaires.

Erwan Nonet

Quand la concurrence transfrontalière sera là…

Aurélien Biscaut, le directeur de l’Agape, regrette que personne ne se soit encore intéressé à la concurrence entre les différentes offres pour étudiants. Cette question est pourtant essentielle, comme l’explique l’ Observatoire lorrain de l’enseignement supérieur et de la vie étudiante : «c’est un marché très concurrentiel où la clientèle est en recherche permanente du produit offrant le meilleur qualité-prix-localisation.»

Certes, le Luxembourg n’est pas la Lorraine, mais lorsque l’offre se développera de l’autre côté de la frontière, certains auront peut-être des sueurs froides. Dans l’ Observatoire déjà cité, on explique que le prix de la location d’un logement étudiant est en moyenne de 9 euros le m² à Metz (10 euros en France). Les prix moyens demandés par l’Uni, eux, tournent à 23 euros le mètre carré pour une chambre et 29 euros pour un studio… 

 

Micheville aura sa résidence étudiante à l’horizon 2019

Le bailleur social LogiEst a répondu à une demande de l’établissement public d’aménagement Alzette-Belval qui souhaitait voir une résidence pour jeunes actifs et étudiants sur le site de Micheville, le pendant français de Belval. Ce projet, prévu pour 2019, comptera 52  logements, dont 7 avec jardin. Il sera composé de deux bâtiments de quatre niveaux qui jouxteront des immeubles de bureaux qui seront bientôt bâtis par l’entreprise Groupe 1000.

Cette commande publique est un symbole marquant  : il s’agit de la première opération de logement menée par l’opération d’intérêt national (OIN) Alzette-Belval. Il ne restera plus qu’à connaître le loyer moyen des unités qui seront proposées là, tout près des résidences luxembourgeoises…

micheville