Premier haut dirigeant emporté par le scandale des « Panama Papers », le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson va démissionner après des révélations sur ses placements offshore qui ont jeté dans la rue des milliers de manifestants en colère.
« Le Premier ministre a informé le groupe parlementaire du (Parti du progrès) qu’il allait démissionner de ses fonctions de Premier ministre », a déclaré en direct mardi à la télévision Sigurdur Ingi Johannsson, vice-président du parti et ministre de l’Agriculture. M. Johansson devrait lui succéder.
« Je n’ai pas envisagé de démissionner à cause de cela et je ne démissionnerai pas à cause de cela », avait-il pourtant insisté lundi après-midi. Mais la manifestation monstre lundi soir à Reykjavik a eu raison de lui. La police a estimé la foule à 8 000 personnes, les organisateurs à 22 000 : des chiffres considérables pour une île qui compte à peine 329 000 habitants. Il avait alors affirmé à la télévision publique RUV regretter n’avoir rien révélé plus tôt.
Selon des documents dévoilés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), M. Gunnlaugsson, 41 ans, a créé en 2007 avec sa future épouse une société dans les îles Vierges britanniques, appelée Wintris, pour y parquer des millions de dollars, jusqu’à ce qu’il lui cède ses parts fin 2009 pour un dollar symbolique. Quand il a été élu député pour la première fois en avril 2009, il a omis cette participation dans sa déclaration de patrimoine, alors que la loi l’y obligeait.
L’affaire est extrêmement sensible dans un pays marqué par les excès des années 2000, où un secteur financier euphorique et ses dirigeants et cadres usaient et abusaient des sociétés écrans. La défense du chef de gouvernement est simple: lui n’a jamais caché d’argent à l’étranger, et sa femme est en règle avec le fisc islandais. « Elle n’a jamais utilisé de paradis fiscal », a-t-il écrit sur son site internet.
Cette manifestation à Reykjavik a rassemblé plus de monde que celles qui en 2009, après la révélation des graves manquements des responsables politiques dans la surveillance des banques, avaient poussé le gouvernement de droite à la démission, selon la police, qui n’a pas précisé de décompte. Beaucoup d’Islandais ont été surpris de voir leur chef de gouvernement aussi mal à l’aise dans un entretien avec la télévision suédoise SVT réalisé le 11 mars et diffusé pour la première fois dimanche, au point de quitter la pièce quand les questions sont devenues pressantes. « On rend suspect quelque chose qui ne l’est pas », s’agaçait-il.
« Trop tard pour s’expliquer »
Fils de député et à l’origine journaliste, M. Gunnlaugsson était censé incarner une rupture avec la classe politique, y compris celle de son parti, qui avait fermé les yeux sur la frénésie d’expansion des banques islandaises. Celle-ci s’est terminée par une crise financière historique, une récession, et un sauvetage du Fonds monétaire international. Son épouse, Anna Sigurlaug Palsdottir, 41 ans également, est la fille d’un homme d’affaires qui a fait fortune comme concessionnaire des voitures Toyota dans le pays.
Le 15 mars, c’est elle-même qui avait rendu publique sur Facebook l’existence de Wintris, qui gère la fortune dont elle a hérité. L’opposition de gauche a déposé une motion de défiance qui doit être soumise au vote à une date qui reste à déterminer. Lors de la séance de questions au gouvernement lundi, seule l’opposition a pris la parole, tandis que la majorité est restée silencieuse.
M. Gunnlaugsson a expliqué ne pas avoir révélé plus tôt ces avoirs afin de ne pas faire de la fortune de sa compagne une question politique, a rapporté RUV. « Peut-être est-il trop tard pour s’expliquer », a déploré la présidente du groupe Gauche-Verts, Katrin Jakobsdottir.
Que M. Gunnlaugsson se soit rendu coupable d’évasion fiscale reste à prouver. Mais politiquement, sa position était devenue intenable. Wintris a même détenu des créances auprès des banques islandaises en faillite. Or M. Gunnlaugsson a percé en politique après avoir mené un mouvement de fronde, couronné de succès, contre les conditions drastiques auxquelles l’Islande était censée rembourser d’autres pays lésés par la faillite de ces banques.
Le Quotidien / AFP