Passer la matinée dans la localité pour suivre la délicate pose du clocher sur sa tour, c’est aussi se régaler des petites histoires de deux parties très liées. L’église et la commune.
Le nouveau clocher a été posé sans incident sur l’église. (Photos : Didier Sylvestre)
En l’état actuel des choses, on compte plus de colliers crapaud que de grenouilles de bénitier dans l’église de Manternach. Les murs sont entièrement dissimulés derrière des échafaudages qui courent de part et d’autre de la nef jusqu’au chœur. Les bancs et l’autel sont recouverts de bâches en plastique poussiéreuses et pour couronner le tout, le clocher se retrouve posé sur le sol.
La grande opération d’hier, dans le cadre de la restauration complète de l’église, consistait précisément à remettre le clocher sur sa tour, un toit pyramidal qu’il a fallu reconstruire entièrement pour remplacer l’ancienne structure, rongée par les vers et qui présentait des risques d’instabilité.
Dans un froid de canard, les élus locaux observent la scène qui s’éternise. Mais l’opération est délicate, le clocher doit être bien harnaché et surtout débarrassé de son échafaudage. Il faudra compter deux heures, à la louche. Le secrétaire du conseil de fabrique et conseiller communal (ADR), Robert Mehlen, revient avec un panier sous le bras, passe devant les vasques qui accueillent l’eau bénite et dépose une à une, dans un geste charitable, quelques bouteilles d’eau-de-vie. Par moins deux, cela peut aider, même en matinée.
Mais le meilleur moyen de se réchauffer est d’aller s’abriter à l’intérieur de la mairie, magnifique maison de maître, idéalement placée puisque située juste en face de l’église, comme une continuité de l’édifice. Et pour cause. « Il s’agit de l’ancien presbytère », informe Robert Mehlen qui se lance aussitôt dans l’historique de la bâtisse, « une ancienne propriété de l’abbaye de Saint-Maximin de Trèves ».
Cette belle et imposante demeure, au fil de l’histoire, est devenue patrimoine de la fabrique d’église. « Nous avons voulu la vendre à la commune pour un euro symbolique, mais l’évêché s’y est opposé et après expertise, le manoir a été vendu pour 5,7 millions de francs (142 500 euros) au début des années 90 », explique Robert Mehlen.
« Vendu illégitimement ! », corrige derrière lui le bourgmestre Henri Frank qui fait des allées et venues entre l’église et son bureau d’en face. « Ce ne sont certainement pas les pauvres paysans de Manternach qui ont construit ce manoir en 1755 ! », lui réplique le secrétaire du conseil de fabrique. Bref, les deux parties ne semblent pas d’accord sur le destinataire de cet héritage… Mais si c’est bien la commune qui a construit l’église à ses frais il y a 150 ans, elle a dû payer comptant le presbytère.
Bien. On arrête les sujets qui fâchent, on boit un petit verre, on se réchauffe et on reprend. Le conseil de fabrique de Manternach a donc eu une belle rentrée d’argent et un généreux membre lui a, en plus, légué un terrain à bâtir d’un demi-hectare que le conseil de fabrique loue à la mairie sous forme d’un bail emphytéotique. L’idée que ses avoirs puissent atterrir demain dans un fonds commun, selon les termes de la nouvelle convention signée entre l’État et l’Église catholique, ne réjouit pas Robert Mehlen.
> Convention et autonomie communale
« Si le conseil de fabrique est obligé de céder ses avoirs à ce fonds, je considère cela comme une expropriation. Le jour où un conseil refuse de verser ses deniers, la justice devra se prononcer et l’issue est, à mes yeux, incertaine », estime le bourgmestre Henri Frank. Il peste contre cette nouvelle convention « qui a été imposée et qui ne répond à aucune nécessité politique », selon lui.
La commune de Manternach a entièrement financé les trav
aux de rénovation pour environ 200 000 euros. Ce qui ne sera plus possible à l’avenir selon les termes de la nouvelle convention. « Bien sûr que ce sera possible ! », réagit Henri Frank. Pourtant, le texte stipule ceci : « Le fonds sera seul responsable de la gestion des édifices qui lui seront confiés ainsi que de l’administration de l’intégralité du patrimoine qui lui sera transmis pour assurer ses obligations. Un cofinancement de ses activités par le secteur communal sera exclu. »
« La commune pourra toujours financer les travaux dans les églises, car cela relève de l’autonomie communale! C’est mon interprétation », lâche le bourgmestre.
Pendant ce temps, le travail progresse du côté du clocher. L’architecte, Uwe Kramer, d’Echternach, est d’un calme olympien. Il sent, comme tout le monde, le vent qui se lève et il ne faudrait pas qu’une rafale vienne perturber le grutier qui attend depuis deux heures dans sa cabine.
Peu après midi, le clocher s’élève enfin, tout doucement, sans un seul bruit de craquement pour venir se poser délicatement sur l’église. Deux à trois riverains sont sortis dans le froid avec leur appareil photo pour immortaliser la scène. Sur le perron de la mairie, les élus applaudissent.
À Manternach, tout est pratiquement rentré dans l’ordre.
De notre journaliste Geneviève Montaigu