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Déchets radioactifs à Bure : «Le Luxembourg a raison de s’inquiéter»


Bure? Un village français devenu terre de lutte pour les antinucléaires, qui dénoncent un projet fou. Il se situe à deux heures du Luxembourg.

Enfouir les déchets les plus radioactifs dans le sol français ? Le projet a lieu à 150 km du Luxembourg. Rencontre avec Sébastien Bonetti, qui présente À Bure pour l’éternité, ce lundi 4 avril, à la Cinémathèque de Luxembourg.

Le Quotidien : Depuis le Luxembourg, le nucléaire se réduit à la peur d’un accident majeur type Tchernobyl avec la proximité de Cattenom. Votre documentaire montre que le premier danger, ce sont plutôt les déchets, non?

Sébastien Bonetti  : Notre documentaire traite de la question des déchets du nucléaire, puisque c’est la raison d’être de Bure  : le centre d’enfouissement doit accueillir les déchets les plus radioactifs du parc français, à 500  m sous terre, nocifs sur des millions d’années. Cette réalité brutale a déclenché notre travail. Mais les Luxembourgeois ont raison d’avoir peur d’un accident majeur aussi. Tout comme les Allemands ou les Suisses d’ailleurs, dont les craintes se matérialisent désormais sous la forme de plaintes devant la justice française.

Le réseau Sortir du nucléaire a épluché les relevés d’incidents entre 2000 et 2013 en France  : ils ont augmenté de 67  %! Si Cattenom connaît un accident majeur un jour, la pollution nucléaire se propagera en une heure au Luxembourg. Donc, je ne fais pas de hiérarchie dans les dangers. Toutes les étapes sont inquiétantes dans cette industrie  : de l’extraction de l’uranium en Afrique jusqu’au transport et à la gestion des déchets.

Aymeric et Sébastien Bonetti, les auteurs d'À Bure pour l'éternité. Ils seront présents lundi à Luxembourg.

Aymeric et Sébastien Bonetti, les auteurs d’À Bure pour l’éternité. Ils seront présents lundi à Luxembourg.

La question des « colis non recyclables », très épineuse, est en tout cas méconnue ici. Alors que Bure est à 150 km du pays!

C’est le talon d’Achille du nucléaire. On nous a vendu le mythe d’une énergie infinie, que l’on maîtrise de A à Z. Mais 40  ans après le développement du parc civil, on ne sait pas quoi faire des résidus ultimes. Pour le moment, le stockage se fait en surface et chaque pays cherche en vain des solutions. L’idée de les enfouir est présentée comme la plus crédible. Mais les expériences se sont avérées catastrophiques partout. En Allemagne, durant les années 70, les « experts » avaient choisi l’ancienne mine de sel d’Asse [entre Hanovre et Berlin].

L’endroit idéal pour retenir la radioactivité, la roche salée servant d’ultime rempart… Résultat  : depuis 2010, les colis sont en cours de récupération en réaction à de nombreux rapports accablants sur les risques. Aux États-Unis, c’est au Nouveau-Mexique que les autorités ont choisi d’implanter le WIPP [Waste Isolation Pilot Plant], le centre de stockage censé servir jusqu’en 2070. Sauf qu’un incendie s’est déclaré en février 2014.

Le WIPP est à l’arrêt, c’était le petit frère de Bure… Bure où la roche d’argile est censée servir d’enveloppe ultime (NDLR  : les colis étant emmurés dans trois couches d’acier, de verre et de béton), Bure où la configuration des galeries est censée parer à tout incendie.

Dans le documentaire, vous abordez cette question par la petite porte, en l’occurrence, celle d’une maison militante située dans le village de Bure. Pourquoi ce choix?

Il existe des dizaines de documentaires sur le nucléaire. Ils sont bien faits, très scientifiques, la chaîne franco-allemande ARTE en passe d’ailleurs régulièrement. Avec mon frère, nous voulions un angle plus humain. La Maison de la résistance est née d’un projet un peu fou en 2005. L’association Bure zone libre (BZL) trouvait toujours porte fermée quand elle voulait s’implanter près du site.

Elle a fini par acquérir un vieux corps de ferme via deux militants qui se sont fait passer pour un couple! La Maison de la résistance accueille des militants de l’Europe entière et des habitants en quête de renseignements sur le projet de Bure. On y échange et partage des expériences.

C’est effectivement une porte d’entrée inédite, avec un angle plus radical  : nous donnons la parole à ceux qui cherchent, qui s’interrogent, qui fouillent, beaucoup plus qu’aux responsables de l’Andra (NDLR  : l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, le porteur public du projet) dont le pouvoir de communication est déjà colossal…

C’est tout un univers que vous avez finalement découvert autour de l’atome.

Le nucléaire n’est pas déconnecté de la société, au contraire, c’est l’énergie qui nourrit tout un pays (NDLR  : 80  % de la production française d’électricité). À partir de là, on tombe sur un lobbying puissant qui décide coûte que coûte de s’enfoncer dans cette direction  : peu importe la question des déchets ou des risques évoqués. On le voit encore récemment, avec la validation de la prolongation des centrales françaises au-delà de 40  ans d’usage.

Au-delà du nucléaire, vous mettez en cause le mythe de l’énergie à volonté. La décroissance est un fil conducteur du film.

À la fin du reportage, Marc Stenger, l’évêque de Troyes, pose la question des limites de notre monde, de l’autodestruction d’une société éternellement productiviste… C’est évidemment la question que sous-entend le nucléaire. Ce témoignage a fait jaser parmi les militants les plus radicaux, parmi lesquels je me reconnais pourtant. Fallait-il retirer cette intervention, sous prétexte qu’il s’agissait d’un homme d’Église donc de « l’establishment »?

Ça aurait été une erreur. Nous avons donné la parole à tout le monde (NDLR  : dont le secrétaire d’État au Développement durable, Camille Gira, qui explique l’alternative énergétique de Beckerich), car la prise de conscience gagne toute la société. N’importe qui peut s’interroger avec cette question simple  : qu’allons-nous laisser aux générations futures?

Nous avons sillonné la France, les rencontres avec le public ont été riches. Même quand nous ne sommes pas d’accord, il y a un doute qui s’installe… C’est déjà une victoire.

Hubert Gamelon

Cinémathèque – Luxembourg. Lundi 4 avril, 20h30. Projection suivie d’un débat.