Le gouvernement belge, accusé de laxisme dans la lutte antiterroriste, a promis jeudi de faire «toute la lumière» sur les attentats de Bruxelles, en rendant un hommage émouvant aux victimes, dont l’identification se poursuivait difficilement.
La police continuait de traquer au moins deux hommes repérés sur des images de vidéosurveillance avec les trois kamikazes qui ont semé mardi la mort à l’aéroport international de Bruxelles et à la station de métro de Maelbeek, en plein quartier européen, faisant 31 morts et 300 blessés, selon un bilan provisoire.
Lors d’un hommage solennel, le Premier ministre Charles Michel a promis de faire «toute la lumière» sur les pires attaques terroristes jamais commises en Belgique, revendiquées par l’organisation Etat islamique, alors que la polémique montait sur les ratés dans le suivi d’un des suspects, intercepté puis expulsé par la Turquie l’été dernier. Le Parlement belge a décidé de mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire, aux pouvoirs étendus. M. Michel a toutefois refusé la démission des ministres de l’Intérieur et de la Justice, Jan Jambon et Koen Geens, qui avaient reconnu «des erreurs».
«Il ne pourra pas y avoir d’impunité. Il ne pourra pas y avoir de zones d’ombre», a insisté M. Michel, sur la défensive après que la Turquie eut regretté le manque de réaction des autorités belges après l’expulsion d’Ibrahim El Bakraoui, en liberté conditionnelle après sa condamnation pour un braquage, qui s’est fait exploser à l’aéroport. Il avait été intercepté en juin 2015 à Gaziantep, non loin de la frontière syrienne, avant d’être expulsé le 14 juillet vers la Belgique via les Pays-Bas. Ibrahim El Bakraoui a ensuite disparu bien que la Belgique ait été «informée que cet individu était un combattant terroriste étranger», selon le président turc Recep Tayyip Erdogan.
« Fort compliqué »
Faux, a répliqué jeudi soir le ministre belge de la justice, Koen Geens: «Nous avons seulement été avertis après l’atterrissage de l’avion à (l’aéroport d’Amsterdam) Schiphol, donc c’était fort compliqué de l’arrêter là», a-t-il fait valoir. Ces remous font surface au moment où le pénible travail d’identification des tués progresse très lentement: les noms de seulement quatre d’entre eux sont aujourd’hui connus. Certaines dépouilles sont déchiquetées, leurs familles vivent parfois à des milliers de kilomètres de Bruxelles, ce qui complique les comparaisons d’ADN ou les reconnaissances visuelles.
Facebook, où une page «Recherche Bruxelles» a été ouverte, ou Twitter relayaient des centaines de messages de proches demandant désespérément des nouvelles. A Bruxelles, le couple royal ainsi que les représentants des différents gouvernements et parlements du royaume, mais aussi le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ont honoré les victimes en observant une nouvelle minute de silence.
Frappée dans sa capitale, l’Union européenne a une nouvelle fois été pointée du doigt pour sa lenteur à mettre en place un système efficace d’échange de données et de renseignements, à lutter contre le trafic d’armes ou introduire un registre européen de passagers aériens (PNR). Le président français François Hollande a exhorté «fermement» l’UE à agir. «Les citoyens sont fatigués et ont peur», a lancé le commissaire européen chargé de la sécurité, Dimitris Avramopoulos, à l’issue d’une réunion d’urgence des 28 pays membres. «Quelque chose doit changer!».
Les médias soulignaient jeudi que la Belgique avait probablement échappé à des attaques d’une ampleur bien supérieure, grâce au démantèlement le 15 mars d’une cellule jihadiste en plein préparatifs et lourdement armée, surprise lors d’une perquisition de routine, ce qui a permis de capturer ensuite Salah Abdeslam, suspect-clé des attentats de Paris. Les trois kamikazes de Bruxelles ont été directement associés aux commandos de Paris et ont sans doute accompagné dans sa cavale Salah Abdeslam. Ce dernier ne refuse plus d’être transféré en France où il devra répondre de sa participation aux attaques du 13 novembre (130 morts).
« Galère »
Selon le parquet fédéral belge, le frère d’Ibrahim, Khalid El Bakraoui, qui s’est fait sauter mardi dans le métro, avait loué sous un faux nom un logement à Charleroi d’où certains des commandos de Paris, dont leur logisticien en chef Abdelhamid Abaaoud, sont partis la veille des attentats.
Quant au troisième kamikaze, Najim Laachraoui, dont des restes ont été identifiés à l’aéroport, il était recherché depuis que son ADN avait été trouvé dans plusieurs habitations louées par ces commandos en Belgique ainsi que sur certaines ceintures d’explosifs. Laachraoui, parti en Syrie début 2013, était connu comme un recruteur notoire de l’EI, et il émerge comme une figure centrale des assaillants de Bruxelles comme de Paris, au-delà même du rôle d’artificier qui lui était attribué jusqu’ici.
«J’ai été touché et accablé, je ne voulais pas croire que c’était lui», a confié jeudi soir son frère Mourad, en disant «compatir» avec les victimes. Malgré le fait qu’au moins deux suspects soient encore en fuite, les autorités ont abaissé jeudi soir à 3 le niveau de la menace terroriste en Belgique, soit un risque «possible et vraisemblable» d’attentats. Il avait été relevé à son niveau maximal (4) dans l’heure ayant suivi les attentats mardi matin. Fortement endommagé, l’aéroport de Bruxelles ne rouvrira pas avant lundi. Des milliers de passagers dont le voyage a été abruptement interrompu ont dû être accueillis dans des salles de sports et des hangars. Jeudi soir, certains ont commencé à récupérer leurs valises, stockées avec 5 à 6 000 poussettes, vélos, sacs à dos abandonnés.
«On n’arrive pas à réaliser qu’on a vécu ça, on fait des cauchemars, c’est difficile», a raconté, les traits tirés, Isabelle Jami, une Française qui a tout abandonné en quittant précipitamment le hall d’embarquement. «On est parti sans rien, sans carte de crédit, sans argent, sans rien… Donc ça fait deux jours qu’on galère». Dans le centre de Bruxelles, la population continuait d’affluer vers l’emblématique place de la Bourse, pour écrire des messages d’hommage à la craie à même le sol, ou y déposer des drapeaux, des bougies ou des fleurs.
Le Quotidien/AFP