Peindre la révolution ou révolutionner la peinture : Gérard Fromanger a refusé de choisir pour produire une œuvre à la fois engagée politiquement et questionnant la représentation, comme le montre une rétrospective au Centre Pompidou.
Mai 68, des foules, des passants, beaucoup de rouge : autant de références, visuelles et/ou politiques, attachées au nom de Fromanger. L’exposition s’ouvre sur un de ses tableaux les plus célèbres, «En Chine à Hu-Xian» (1974). Une toile de grande dimension (2 x 3m) représentant une foule multicolore de paysans chinois. A l’origine de l’œuvre, une photo en noir et blanc, prise lors d’un voyage d’intellectuels français en Chine maoïste.
Gérard Fromanger, 76 ans, est «une figure assez rare et singulière», explique Michel Gauthier, commissaire de l’exposition (jusqu’au 16 mai). Il «est préoccupé par la réalité sociale, engagé comme on dit, mais en même temps, ce souci politique n’aboutit jamais à l’oubli de la peinture».
Son œuvre a été amplement commentée par Michel Foucault et Gilles Deleuze, dont il était proche. «La fascination de l’image et son questionnement est une constante, sans doute par opposition à l’abstraction triomphante de la génération qui me précède», déclare Fromanger, qui refuse pour autant d’être un peintre «pop».
Si le thème de la foule et des passants est très présent des années 70 à aujourd’hui, une autre constante traverse son œuvre: le rouge. «Une image rouge, rouge massacre, génocide, rouge Vietnam, rouge escalade, rouge Soledad, rouge Guevara (…)», énumère son ami Jacques Prévert.
Rouge de la peinture des tableaux reliefs, qui fuit, s’égoutte ; rouge du drapeau tricolore qui saigne dans un «film-tract» réalisé avec Jean-Luc Godard, et décliné sur des affiches ; rouge des silhouettes de passants devant les vitrines des grands boulevards parisiens, image copiée par des générations de graphistes.
«Fromanger rejette la dichotomie du modernisme : être un artiste engagé ou un artiste formaliste, si on caricature. L’exposition montre les différentes façons d’exprimer ce refus», souligne Michel Gauthier dont le subtil accrochage thématique crée des correspondances entre la cinquantaine de pièces présentées.
Rouge
Dans «La Vie d’artiste» (1974-75), Fromanger exprime ce dualisme : le peintre est dans son atelier. Un épiscope (sorte de rétroprojecteur) projette sur la toile vierge une photo agrandie d’une scène de révolte dans une prison. Le tableau est traversé d’obliques rouges et jaunes.
Avec «La mort de Pierre Overney», jeune militant tué par un vigile de Renault en 1972, Fromanger va plus loin. Dans cette oeuvre énigmatique, le militant maoïste, difficilement identifiable, est à terre, entouré de centaines de points de couleur. Le peintre choisit cet événement tragique, chant du cygne de la gauche révolutionnaire, pour signer une de ses toiles les plus proches de l’abstraction.
La série des «Questions» («Bouge», «Existe», «Passe»….) est une des plus remarquables, et des plus intrigantes : de très réalistes reporters ou cameramen braquent leurs objectifs ou leurs micros en direction de formes abstraites, dans une confrontation directe entre monde des médias et pure exploration formelle.
Avec la toile monumentale (9 m de long) «De toutes les couleurs, peinture d’histoire» (1991-1992), Fromanger revient aux bouleversements du monde tout en faisant preuve d’une foisonnante liberté plastique. Peint après la première Guerre du Golfe, le tableau est divisé en portions représentant des monuments, des armes de guerre, des jets de peinture, des paysages… Comme dans un microprocesseur, des lignes de couleurs relient entre elles les différents motifs de la toile sur laquelle il a travaillé un an.
AFP/M.R.