Les clubs chinois, transparents d’ordinaire sur le marché, se sont mis depuis peu à recruter et dépenser sans compter en Europe. Surtout pour des raisons politiques.
Une frénésie dictée par l’ambition du président, Xi Jinping, de transformer la Chine en une grande nation du ballon rond.
Au dernier jour du mercato d’hiver européen hier, les clubs chinois des deux premières divisions avaient dépensé, au total, plus de 200 millions d’euros pour l’achat de joueurs, selon le site de référence transfermarkt.com, soit une hausse de plus de 60 % en un an.
Mais les propriétaires, selon leurs détracteurs, sont réputés s’intéresser davantage aux faveurs politiques potentielles qu’à la beauté du jeu. Les montants exorbitants payés pour s’attacher les services de joueurs la plupart proches de la trentaine ont également surpris les observateurs. Trois des plus onéreux transferts du mercato ont ainsi été réglés par des clubs chinois, selon transfermarkt.
«Une raison nouvelle explique que les milliardaires chinois investissent dans le football en Chine : ils veulent se bâtir un crédit politique», déclare Rowan Simons, auteur d’un livre sur le ballon rond chinois.
Cette fièvre acheteuse intervient après qu’une influente commission du Parti communiste, présidée par Xi Jinping, lui-même un fan, ait proclamé que «revitaliser le football est une obligation pour faire de la Chine une puissance sportive, dans le cadre du rêve chinois».
«C’est ma chance, je peux avoir ma part»
En janvier, le milieu brésilien de Chelsea Ramires a rejoint le club chinois du Jiangsu Suning, pour un montant record de 28 millions d’euros. Le buteur ivoirien de l’AS Rome, Gervinho, a signé pour le Hebei China Fortune pour 18 millions d’euros, tandis que le Shanghai Shenhua a acheté l’international colombien Fredy Guarin pour 13 millions à l’Inter Milan, selon transfermarkt.
Suning, populaire chaîne chinoise de magasins d’électronique et d’électroménager, avait racheté puis renommé l’équipe du Jiangsu en décembre. Le Hebei China Fortune est propriété d’un promoteur pékinois de zones industrielles et le Shenhua celui du groupe Greenland Holding, spécialisé dans l’immobilier.
«Quand le gouvernement chinois dit qu’il se fixe un objectif, il veut dire : Voilà comment vous pouvez gagner notre sympathie », explique David Hornby, directeur sport de Mailman, une entreprise de gestion de marque basée à Shanghai. «Un jour, après qu’ils aient annoncé les réformes dans le football, des dizaines de gens ont voulu enregistrer des clubs, note Mark Dreyer, blogeur sport à Pékin. De toute évidence, aucun d’entre eux n’avait de rapport avec le sport, mais ils se sont dit : C’est ma chance, je peux avoir ma part du gâteau. »
Mais pour les experts, cette avalanche de cash pourrait s’avérer contreproductive. Gao Zhaoyu, spécialiste du sport chinois à l’université de Lausanne, note que les millions déboursés par les clubs pour recruter et payer des joueurs étrangers ne sont – en conséquence – pas dépensés pour la formation de jeunes joueurs susceptibles d’intégrer la sélection nationale. Un plafond salarial existe certes en Chine, souligne-t-il, mais seuls les joueurs chinois sont concernés et de toute façon «les propriétaires de clubs ignorent tout simplement ces règles». «Certains clubs européens ont aussi souffert d’instabilité financière, ajoute-t-il. Ils aimeraient transférer des joueurs dans des grands clubs, y compris les clubs chinois.» Xi Jinping, prédit, lui, Rowan Simons, quittera le pouvoir (en principe en 2023) avant de constater une amélioration significative des résultats de l’équipe nationale. «Cette nouvelle révolution footballistique initiée par le pouvoir politique durera un temps limité… sauf si son successeur est également un fan de foot.»
Le Quotidien