Un collège d’experts affirme qu’il ne fallait pas opérer Corentin, 11 ans, mort d’une opération de l’appendicite, en novembre 2014, à l’hôpital Claude-Bernard de Metz. Le rapport est très accusateur contre deux chirurgiens qui ont multiplié les erreurs.
Le rapport du collège d’experts nommé par le juge d’instruction Jean-Marie Caronna, que Le Républicain lorrain a pu consulter, laisse peu de place au doute sur les circonstances de la mort de Corentin Jeras, 11 ans. Pierre angulaire de l’information judiciaire ouverte une semaine après la mort du jeune Messin sur la table d’opération de l’hôpital Claude-Bernard le 1er novembre 2014, l’expertise fouillée et critique jette une lumière crue sur l’opération qui a viré au cauchemar dans le bloc de la clinique messine.
Fallait-il opérer Corentin?
La réponse est non. Le jeune patient, souffrant de maux de ventre chroniques, avait consulté plusieurs médecins avant que ses parents l’emmènent passer un scanner à Claude-Bernard, le 31 octobre. Examen qui ne donne rien, mais les parents sont dirigés vers les urgences pour la prescription d’un antalgiquen, car Corentin a mal. Là, le dossier est revu et l’avis du chirurgien de permanence est demandé. Il plaide pour l’intervention, qui tournera à la catastrophe le lendemain. M. B., le chirurgien, se trompe, estime le rapport des experts. «L’enfant ne souffrait pas d’une appendicite (…) Il n’y avait pas d’arguments cliniques ou radiologiques pour retenir le diagnostic (…) L’enfant souffrait d’une colopathie fonctionnelle, caractérisée par des troubles du transit et des douleurs abdominales.» Conclusion : «Il n’y avait pas d’indication à faire une intervention chirurgicale.»
L’intervention s’est-elle déroulée dans les règles de l’art?
Les experts répondent encore non et assurent que l’irrespect de ces règles est à l’origine des plaies à l’aorte qui seront fatales à Corentin. «L’open-cœliscopie (NDLR : qui impose de réaliser une incision avant d’enfoncer les outils propres à l’intervention) n’a pas été faite selon les règles de la science.» Le chirurgien se serait borné à effectuer une cœliscopie avec un outil muni d’une pointe acérée, qui a transpercé l’aorte abdominale de Corentin. Technique qui n’est aujourd’hui plus du tout répertoriée dans les bons usages après une série d’accidents opératoires!
Les praticiens ont-ils perdu du temps?
Oui, expliquent les spécialistes. À plusieurs moments. Les anesthésistes ne sont pas épargnés. Ils ont craint que Corentin fasse une embolie gazeuse alors que l’enfant se vidait de son sang. «L’intervention du cardiologue (pour vérifier l’hypothèse de l’embolie) a retardé le diagnostic de choc hémorragique par plaie aortique», insistent les experts.
Les deux premiers chirurgiens se voient reprocher de ne pas avoir découvert la seconde plaie à l’arrière de l’aorte. Elle ne sera isolée que par le troisième, spécialiste de chirurgie vasculaire, qui intervient six heures après le début de l’opération. Il avait pourtant proposé ses services quatre heures plus tôt, alors qu’il sortait du bloc d’à côté, mais les deux premiers chirurgiens avaient refusé son aide. «On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles les docteurs B. et C. n’ont pas accepté l’aide du docteur P.»
Le rapport confirme que seul le troisième chirurgien arrive au bon diagnostic – une double plaie à l’aorte – et traite correctement le problème. Mais trop tardivement. Deuxième lourd reproche adressé au deuxième chirurgien, qui s’obstine et échoue à réparer l’aorte de Corentin malgré les exhortations du personnel au bloc à passer la main : l’expertise note que même «la première plaie à l’aorte n’a pas été suturée de façon conforme aux pratiques de chirurgie vasculaire».
Alain Morvan (Le Républicain lorrain)
Pour ceux qui souhaitent soutenir la famille de Corentin, une cagnotte a été ouverte pour les aider dans leur combat : https://www.onparticipe.fr/cagnottes/CvnGdQSn